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La coopération franco-québécoise en éducation 1960-1980 : l’âge d’or

La coopération franco-québécoise en éducation
1960-1980 : l’âge d’or

 

L’aube des années 1960 marque les « retrouvailles » entre la France et le Québec. Mettant en œuvre les grandes réformes de la Révolution tranquille, le gouvernement Lesage démontre également sa volonté de s’ouvrir sur le monde, et des liens politiques forts vont se nouer avec l’Hexagone. Dès lors, les deux gouvernements vont soutenir une ambitieuse politique de coopération, principalement dans le domaine de l’éducation. Conséquemment à la signature de la première entente bilatérale de coopération, le 27 février 1965, des échanges d’enseignants et d’universitaires sont instaurés entre les rives de l’Atlantique, et ceux-ci vont connaître un développement rapide pendant les années 1970, décennie qui marque l’âge d’or de la coopération franco-québécoise.

La signature de l’entente de coopération en éducation

Délégation générale du Québec à Paris
Crédit : Délégation générale du Québec à Paris

Après l’ouverture, en 1961, de la Délégation générale du Québec à Paris, des rapports privilégiés s’instaurent entre les deux capitales. Ce contexte permet la mise en place des premiers programmes de coopération, à l’initiative de Paul Gérin-Lajoie. Le ministre signe, tout d’abord, une entente avec l’Association pour l’organisation des stages en France (ASTEF), afin de favoriser des échanges de techniciens et d’ingénieurs. Un accord est ensuite conclu avec l’École nationale d’administration, l’ÉNA. À partir de janvier 1964, l’établissement parisien accueille une dizaine de fonctionnaires québécois pour une année de perfectionnement. Ceux-ci bénéficient d’une scolarité adaptée et concluent leur séjour par un stage d’un trimestre au sein d’une préfecture dans l’Hexagone1.

Devant le succès des premiers échanges, Paul Gérin-Lajoie, qui s’attelle à la réforme du système scolaire, souhaite la signature d’un accord de plus grande ampleur. Les négociations s’amorcent en juillet 1964, sous l’égide de l’ambassadeur de France au Canada, Raymond Bousquet. En dépit des réticences de la part des autorités fédérales, mais également du ministère des Affaires étrangères français, peu enthousiaste à l’idée de conclure un accord avec le Québec, l’Entente sur un programme d’échanges et de coopération dans le domaine de l’éducation, est signée à Paris, le 27 février 1965, par Paul Gérin-Lajoie et son homologue Christian Fouchet. Ce texte est ambitieux et s’intéresse à tous les secteurs de l’éducation2. Dès la rentrée de septembre 1965, une quarantaine d’enseignants québécois, professeurs d’écoles normales et de l’enseignement technique, bénéficie d’une année de stage, dans des écoles normales de l’Hexagone. Pour veiller à l’application des différents programmes, la Commission permanente de coopération franco-québécoise est également instituée, siégeant alternativement dans les deux capitales.

En 1967, quelques semaines après la visite du général de Gaulle au Québec, un nouvel accord est signé par Daniel Johnson et le ministre de l’Éducation, Alain Peyreffite. L’entente prévoit notamment la création d’un millier de bourses en faveur des étudiants québécois. De nouveaux organismes sont mis sur pied pour animer et encadrer les échanges, comme le Centre franco-québécois pour le développement des enseignements pédagogiques (CEDEP) et le Centre de développement des enseignements technologiques (CEDET). En février 1968, l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) est institué. Cet organisme binational, qui organise des voyages d’études et d’information ainsi que des stages pour de jeunes travailleurs, demeure, encore aujourd’hui, l’une des plus belles réussites de la coopération franco-québécoise.

Le développement des échanges

Après cette impulsion décisive, la décennie suivante marque l’âge d’or de la coopération. Grâce au soutien des présidents Pompidou et Giscard d’Estaing, les deux gouvernements mènent une politique volontariste, qui se traduit par une hausse régulière des budgets accordés à la coopération. La contribution financière du Québec, qui s’élevait à 2 370 000 dollars en 1970, a ainsi doublé à la fin de la décennie. En dépit de la diversification des activités de la Commission permanente, l’éducation conserve, pendant toute cette période, une place prépondérante : elle absorbe annuellement près des deux tiers du budget global de la coopération, et s’affiche comme la priorité des gouvernements3.

Ce contexte favorise l’instauration d’ambitieux programmes d’échanges. Dans le domaine de l’enseignement supérieur, tout d’abord, les universités québécoises bénéficient de la présence de centaines de coopérants militaires français, les Volontaires du service national actif (VSNA). Ces jeunes diplômés universitaires étaient intégrés à titre de coopérants culturels pour enseigner dans les établissements du Québec. Entre 1965 et 1974, plus de 1 400 d’entre eux ont œuvré dans les universités, particulièrement à Sherbrooke et à Laval4.

Outre la création de chaires de civilisation québécoise dans cinq universités de l’Hexagone, Strasbourg, Caen, Poitiers, Aix-en-Provence et Bordeaux, des échanges universitaires plus structurés prennent forme en 1972, avec l’entrée en vigueur des « projets intégrés », qui sont adoptés par la Commission permanente. Chaque année, plusieurs centaines de professeurs, chercheurs et étudiants bénéficient d’un séjour outre-Atlantique pour enseigner et mener des recherches conjointes. Entre 1965 et 1982, plus de 5 000 universitaires prennent part à ces échanges.

La coopération s’intéresse également à l’enseignement technique. Des jumelages s’organisent entre les CEGEP et des Instituts universitaires de technologie (IUT) français, qui aboutissent à des échanges d’étudiants et de professeurs issus de toutes les disciplines. Les objectifs de ces opérations sont la formation et le perfectionnement des maîtres, le développement des programmes et des méthodes d’enseignement, la création de cours et de documents pédagogiques communs.

En décembre 1974, quelques semaines après l’adoption de la Loi sur la langue officielle, la loi 22, les premiers ministres Bourassa et Chirac signent un ambitieux accord de coopération. Un programme de stages est conçu pour les professeurs québécois du secteur technique, au secondaire et au collégial, afin de les sensibiliser à l’usage du français en milieu professionnel. Après quinze jours passés dans des établissements scolaires, IUT et lycées professionnels, les stagiaires visitaient des entreprises et finissaient leur séjour au sein d’un centre de formation des maîtres5. Entre 1975 et 1980, près de 1700 enseignants ont bénéficié d’un tel stage dans l’Hexagone.

L’opération la plus inédite, et la plus complexe, menée sous l’égide de la coopération, reste, sans nul doute, le programme d’échanges des jeunes maîtres. Pendant les années 1970, près de 150 enseignants français et leurs homologues québécois sont échangés chaque année et vont enseigner dans des écoles outre-Atlantique. Pendant leur année à l’étranger, les coopérants découvrent un nouvel environnement de vie et de travail. C’est pour eux l’occasion d’une réflexion sur l’acte d’enseigner, sur le rôle du professeur et son rapport à l’élève6. Ces échanges sont également élargis à l’enseignement secondaire et au domaine de l’enfance inadaptée.

Le bilan de la coopération

Pendant près de quinze ans, les deux gouvernements ont soutenu une politique originale, basée sur la parité et la réciprocité. La France a contribué de façon indéniable, avec ses moyens mais plus que tout autre partenaire, à l’essor du système universitaire québécois, particulièrement le réseau de l’Université du Québec. Les témoignages des coopérants attestent également du succès des échanges. Pour les milliers d’instituteurs et d’enseignants du secteur technique qui ont vécu cette expérience, l’immersion dans un système scolaire étranger a constitué une source d’enrichissement, aux plans personnel et professionnel.

En dépit de ces résultats remarquables, la crise économique de la fin des années 1970 contraint les gouvernements à l’austérité. D’une part, les budgets alloués à la coopération accusent une baisse rapide et, d’autre part, la priorité est désormais donnée au secteur économique, au détriment de l’éducation. Les principaux programmes d’échanges d’enseignants sont abandonnés à cette occasion, à l’exception de la coopération universitaire. En 1984, la signature de la convention d’échanges CREPUQ permettra de relancer la mobilité étudiante, avec le succès que l’on connaît aujourd’hui, si l’on en juge des 5 000 étudiants français inscrits cette année dans les universités québécoises.

 

par Samy MESLI
Chercheur post-doctoral à l’Université de Montréal
Chargé de cours à l’UQAM
Chercheur associé à la Chaire Hector-Fabre d’histoire du Québec
 
1 – Samy Mesli, La coopération franco-québécoise dans le domaine de l’éducation, de 1965 à nos jours, thèse de doctorat, Université Paris 8 – Université du Québec à Montréal, 2006, pp. 96-104. Voir également l’article du même auteur, « L’éducation, au cœur des relations franco-québécoises », Cahiers d’Histoire, vol. 26, n°1, automne 2006, pp. 129-144. [Retour au texte]
2 – Ministère des Relations internationales, Entente entre le Québec et la France sur un programme d’échanges et de coopération dans le domaine de l’éducation, 27 février 1965. Consultable en ligne, http://www.mri.gouv.qc.ca/fr/informer/ententes/pdf/1965-01.pdf [Retour au texte]
3 – Shiro Noda, Entre l’indépendance et le fédéralisme. 1970-1980 : la décennie marquante des relations internationales du Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 259-262. [Retour au texte]
4 – Jacques Portes, « Les coopérants militaires français au Québec », in. Stéphane Paquin (dir.), Histoire des relations internationales du Québec, Montréal, VLB éditeurs, 2006, pp. 75-86. [Retour au texte]
5
– Gaston Cholette, L’action internationale du Québec en matière linguistique : coopération avec la France et la Francophonie, Québec, Presses de l’Université Laval, 1997, p. 56. [Retour au texte]
6
– Samy Mesli, « La coopération franco-québécoise en éducation. Les échanges de jeunes maîtres (1965-1982) », in Stéphane Paquin (dir.), Histoire des relations internationales du Québec, Montréal, VLB éditeurs, 2006, pp. 87-98. [Retour au texte]
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