L’héritage linguistique que le Québec partage avec la France :
la 3e Journée québécoise des dictionnaires
par Gilles Durand
Monique C. Cormier, conceptrice de la Journée québécoise des dictionnairesCrédit : Université de Montréal |
Le 4 avril 2008 se déroule la 3e journée québécoise des dictionnaires. L’amphithéâtre du Musée des beaux-arts de Québec est complètement rempli. Conférenciers québécois et français se succèdent pour exposer le chemin parcouru par les lexicographes québécois et français depuis la Nouvelle-France jusqu’à aujourd’hui, et pour présenter leur apport au cours de la même période.
Le français d’usage en Nouvelle-France
Les premiers arrivants français amènent dans la vallée du Saint-Laurent leur langue, celle de l’Île-de-France déjà répandue à l’époque au centre, au nord et à l’ouest de la France. En même temps, l’élite surtout, membres des communautés religieuses, administrateurs et représentants du pouvoir royal, prend soin d’apporter dans ses bagages des imprimés, en particulier des dictionnaires, qui lui permettent de confirmer ou d’infirmer sa façon de parler et d’écrire. Le livre importé de l’Hexagone conserve alors toute son importance dans un pays dépourvu à l’origine d’imprimerie, de bibliothèque publique, de librairie et même de journal.
L’évolution de la langue après la Conquête
Dès le début du 17e siècle, au contact du nouveau continent, la langue évolue. Des mots nouveaux apparaissent, tantôt pour désigner des réalités nouvelles, tantôt comme une conséquence de la perception que les coloniaux entretiennent de leurs relations avec la France – désir d’autonomie, fidélité à la mère patrie –, par exemple les termes « habitant », « canadien » et « canadien-français ». Les nouveaux venus sentent le besoin tantôt de se conformer aux façons de s’exprimer de leur pays d’origine, tantôt de se différentier du paysan de l’Hexagone. À la suite de la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais en 1760, les ponts sont coupés entre le Québec et la France. Isolés, les Québécois font appel à des anglicismes pour désigner des réalités de tous les jours et, il faut bien l’avouer, ils ne sont pas sans permettre la contamination de leur langue par quelques bactéries, barbarismes et autres «jouals». Au cours du 19e siècle, des Canadiens français prennent conscience de cet écart entre leur langage et celui de la France, écart d’autant plus important que le français de la vallée du Saint-Laurent avait évolué plus lentement que celui de la France après 1760.
Les glossairistes puristes
Cette prise de conscience a des répercussions importantes au lendemain de l’échec des rébellions, provoquant un réalignement inconditionnel de certains lexicographes québécois, tel Thomas Maguire, sur la langue en usage dans l’Hexagone. Pour eux, la cause de cet écart est due à la contamination du français canadien par l’anglais et par le laisser-aller de leurs compatriotes. Plutôt que de tenter de dresser un inventaire exhaustif des mots et des tournures employés dans le langage courant afin de disposer de toute l’information nécessaire pour porter un jugement de valeur, ils adoptent plutôt une attitude de dénigrement. Par leurs glossaires de type correctif et mélioratif, ils tentent de provoquer un retour au français de France.
La description avant le jugement de valeur
D’autres glossairistes québécois empruntent cependant une voie différente. À compter de 1880 surtout, ils dépassent l’explication de la dégénérescence de la langue par les anglicismes et le laisser-aller de leurs compatriotes québécois pour aller au fond des choses. Au lieu de condamner, ils entreprennent la préparation d’inventaires et de répertoires des québécismes accompagnés d’explications. Par là, ils sont en mesure d’aller au-delà de la perception du langage des Canadiens français comme une langue conservatrice, c’est-à-dire restée conforme au français des 17e et 18e siècles, pour découvrir la richesse des mots et des tournures qui ont pris naissance en terre québécoise. De tels travaux, accomplis méthodiquement et d’une façon soutenue, contribuent à la revalorisation du français canadien.
La réalité québécoise du côté des lexicographes français
L’entrée du continent nord-américain, plus particulièrement de la Nouvelle-France, dans les dictionnaires français, progresse au rythme des découvertes. À compter de la fin du 16e siècle, des termes, tels « sauvage », « castor », « Canada », « nouvelle France », « Québec », « mâture », trouvent place dans de tels ouvrages. Avec la révolution tranquille, les québécismes, revalorisés, retiennent davantage l’attention des Français : à la fin des années 1960, des termes en référence aux symboles du Québec, tels « bleuet », « coureur des bois », « épinette », « poudrerie », « tuque », etc., trouvent place par exemple dans le Larousse. C’est l’entrée de Félix Leclerc chez Molière, dit-on.
D’autres projets et pour en savoir davantage
Plusieurs projets de dictionnaires sont en cours à l’heure actuelle. Mentionnons, à titre d’exemple, le projet FRANCUS (français québécois usage standard), mené à l’Université de Sherbrooke : tout en reconnaissant que plusieurs mots sont communs tant du côté de la France que du côté du Québec, les auteurs présentent la langue d’usage en tenant compte de la réalité québécoise, c’est-à-dire de son emploi au Québec, de nos valeurs et des textes de notre littérature, sans taire pour autant l’emploi français des mots. Pour en apprendre davantage, les lecteurs sont invités à consulter l’ouvrage Les dictionnaires de la langue française au Québec de la Nouvelle-France à aujourd’hui. Cette publication renferme les conférences prononcées lors de la 3e Journée des dictionnaires (et aussi d’autres exposés complémentaires).