Les plantes et les Premières Nations du Québec
par Alain Cuerrier
Ethnobotaniste
Jardin botanique de Montréal,
Institut de recherche en biologie végétale et
Université de Montréal
Les plantes, qu’elles soient alimentaires, médicinales ou encore utilisées dans la confection des habitations, des paniers, des canots, ont permis aux Premières Nations du Québec de trouver les matériaux suffisants pour vivre et s’intégrer à ce vaste territoire qu’est le Nord-Est de l’Amérique du Nord.
Avant l’arrivée des Européens en territoire amérindien, plusieurs nations se partageaient ce qu’il serait mieux convenu d’appeler Turtle Island, soit l’Amérique du Nord. Au sud des Grands Lacs se tenaient les nations iroquoiennes qui, groupées en villages semi-permanents, pratiquaient l’agriculture. Ces nations horticoles laissaient la place plus au nord aux nations de langue algonquienne. Celles-ci, semi-nomades, chassaient, pêchaient et cueillaient les plantes, notamment les petits fruits. Et beaucoup plus au nord, dans l’Arctique, les Inuits occupaient la toundra.
Un lac proche de la communauté crie de Nemaska où vraisemblablement les Cris vont encore cueillir leurs plantes médicinales.Crédit : Alain Cuerrier |
La cueillette comprenait également les plantes médicinales qui entraient dans la guérison de nombreuses maladies. Pour le récollet Leclercq, les Premières Nations étaient à la fois chirurgiens, apothicaires et médecins. Il raconte, à la fin du XVIIe siècle, que les « Sauvages connaissent admirablement bien la vertu et les propriétés » des plantes médicinales. Plus d’un relate cette connaissance que possèdent les Premières Nations du Québec. À la même époque, dans les pays dits civilisés, on pratiquait des chirurgies souvent basées sur une méconnaissance du corps humain, du moins de sa physiologie. N’oublions pas que la circulation du sang est établie par Harvey en 1628… Aussi, il valait mieux se faire opérer par un Inuit, par exemple, que par un médecin du roi! Il se mêlait aux plantes une part importante de spiritualité ou animisme. Chants, jeûnes, et autres rituels de purification (telle la tente à sudation) accompagnaient parfois le traitement fait à partir des plantes.
Mais comment choisir la bonne plante? Il fallait s’en remettre à l’enseignement prodigué par les guérisseurs de la famille ou du clan. Cependant, le rêve révélait parfois au guérisseur la plante à récolter. Par l’observation des animaux, les Premières Nations venaient aussi à découvrir des plantes comestibles ou médicinales. La découverte du sirop d’érable ne serait pas étrangère à l’observation des petits rongeurs, les écureuils notamment, qui léchaient la sève au printemps.
Pour l’équipage de Jacques Cartier, la guérison n’était certes pas du domaine du rêve mais issue d’une réalité combien bénéfique. Le scorbut ravageait son équipage en 1535 lorsque le thé tiré d’un arbre vint à les soulager in extremis. Pour l’ethnobotaniste Jacques Rousseau la plante mentionnée comme annedda par les Iroquois ne peut être que le cèdre blanc (un thuya). Les preuves manquent cependant pour souligner avec certitude tel ou tel arbre. Il s’agit sans aucun doute d’un conifère, mais le cèdre autant que le sapin ou le pin pourrait être cet obscur annedda. Il est même probable que la plupart des conifères possèdent des propriétés antiscorbutiques.
Les travaux d’ethnobotanique indiquent bien que le sapin et les autres conifères figurent parmi les plantes médicinales de première importance! On compte plus de 400 plantes médicinales dans la pharmacopée des Premières Nations du Québec. Non seulement les conifères sont-ils utilisés par l’ensemble des nations mais encore faut-il savoir que, sur le plan des composés actifs et de leurs activités pharmacologiques, ils gagnent de plus en plus en importance. Aussi, ce sont des arbres dont la répartition est vaste et l’abondance au Québec (et au Canada) grande. On continue de nos jours à vérifier les propriétés de ces arbres. On connaît les travaux en cours sur l’if du Canada. Le sapin baumier fait également l’objet de recherche au Québec, notamment comme adjuvant à la chimiothérapie.
Aussi, ne fait-il aucun doute que les Premières Nations n’ont pas attendu que les Européens apportent leurs simples et autres remèdes pour se guérir. La réalité semble tout autre : les Premières Nations ont parfois aidé les Européens à se guérir et lorsque l’on compare l’herboristerie telle que pratiquée par les herboristes du Québec aujourd’hui à la pharmacopée amérindienne, de nombreuses similitudes ressortent qui indiquent clairement un partage de savoirs. Ce savoir persiste heureusement chez plusieurs nations. Il est toutefois menacé tout comme la diversité végétale peut l’être. C’est donc à la fois la culture des Premières Nations (et la culture locale dans son ensemble) ainsi que l’environnement que nous devons protéger. Il convient donc d’outiller les Amérindiens dans un effort de revitalisation de leur culture et de revaloriser l’herboristerie dans son ensemble et, en particulier, ce savoir traditionnel qui hante encore le cœur des Premières Nations.