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Michel Sarrazin (1659 – 1734), un vil médecin du roi en Nouvelle-France

Michel Sarrazin (1659 – 1734), un vil médecin du roi
en Nouvelle-France

 

par Jean-Richard Gauthier


Un parcours hors du commun

Michel Sarrazin est l’un des rares médecins à avoir exercé en Nouvelle-France, seuls trois autres ayant pratiqué leur art dans cette colonie. Sa longue carrière médicale, qui s’étend de 1686 à 1734, est unique : d’abord chirurgien, il sera nommé médecin du roi.1

En plus d’exercer la médecine, il sera botaniste pour le Jardin des Plantes à partir de 1699 et, par la suite, membre de la prestigieuse Académie des Sciences de Paris. Puis, en 1707, il est nommé conseiller au Conseil supérieur de la Nouvelle-France.

Si son parcours est exceptionnel, sa pratique médicale l’est tout autant. Puisque Sarrazin exerce d’abord comme chirurgien, puis comme médecin, sa carrière médicale met en lumière les nouveaux courants médicaux qui donneront naissance à la médecine moderne. En effet, à cette époque, chirurgiens et médecins n’ont ni la même formation, ni la même thérapeutique, ni les mêmes fonctions médicales. Ils se distinguent dans leur apprentissage et leur pratique et sont considérés comme deux professions distinctes.

Un chirurgien remarqué

sarrazin medecin roi

Source: Les Éditions Septentrion

C’est à titre de chirurgien de navire que Sarrazin s’embarque pour la Nouvelle-France en 1686. Lorsqu’il arrive au Canada, une vingtaine de chirurgiens exercent dans la colonie. Malgré cette présence importante, il se fait remarquer rapidement, car il est nommé la même année chirurgien-major des troupes, par le gouverneur Denonville et l’intendant Champigny. C’est la première fois en Nouvelle-France qu’on accorde ce poste.

Si Sarrazin, en tant que chirurgien-major, doit se consacrer d’abord et avant tout à soigner les militaires, il a également la liberté d’exercer auprès de la population. De plus, il avait toute latitude pour proposer ses soins aux institutions religieuses. À ce titre, les religieuses de l’Hôpital général de Québec retiennent ses services pour répondre à leurs besoins médicaux en 1693. Outre le soin des malades, Sarrazin est parfois appelé à produire des rapports médicaux pour le Conseil supérieur, ce qui témoigne du prestige et de la compétence des chirurgiens- majors.

A l’instar des autres chirurgiens, Sarrazin pratique un métier manuel qui consiste à guérir les maladies externes. Il lui revient donc de saigner, cautériser les plaies, amputer un membre. Le caractère manuel du travail du chirurgien à cette époque apparaît clairement dans le brevet de la métropole :

Aujourd’hui 16 mars 1691 le Roy estant à Versailles voulant commettre une personne capable et expérimentée au fait de la chirurgie pour traiter et panser les soldats des troupes qu’Elle entretient au pays du Canada, et sachant que le Sieur Sarrazin a les qualités nécessaires pour s’en bien acquitter, Sa Majesté l’a retenu et ordonné, retient et ordonne chirurgien des troupes qu’Elle entretient au dit pays […]2.

En 1694, après avoir songé à la vocation religieuse, Michel Sarrazin quitte la Nouvelle-France «pour achever de se perfectionner dans l’étude de la médecine»3. Étant donné l’absence d’institutions d’enseignement dans la colonie, c’est en France qu’il étudiera.

Un vil médecin

Ce n’est qu’après avoir obtenu ses grades à Reims en 1697 qu’il revient dans la colonie. L’essentiel de l’enseignement que reçoit Sarrazin lors de son apprentissage en France demeure axé sur l’étude des écrits anciens, l’enseignement au chevet du malade et la pratique dans les hôpitaux demeurant alors exceptionnels. Ainsi, lorsque Sarrazin s’installe à nouveau dans la colonie, ce n’est plus comme chirurgien, mais comme médecin. À ce moment, seul de ce groupe de soignants en Nouvelle-France, son «bonnet de docteur», selon la hiérarchie, suffit à lui garantir la plus haute place au sein du corps médical de la colonie. Mieux encore, il revient avec le titre de médecin du roi.

Sur le plan pratique, l’application du savoir médical consistait alors pour le médecin à rétablir l’équilibre des humeurs, en conformité avec les doctrines anciennes. Le traitement utilisé était en fonction des symptômes. Pour déceler ceux-ci, le médecin tâtait le pouls du patient, examinait les urines et les selles. Il interrogeait surtout le patient sur ses symptômes. Le patient devenait acteur puisqu’il devait décrire sa maladie. Après, le médecin ordonnait le traitement qui consistait dans la plupart des cas en une saignée, une purgation ou un lavement. Il s’occupe donc surtout de diagnostiquer les maladies et de prescrire les médicaments.

Au début du XVIIIe siècle, le recours régulier à la chirurgie par un médecin est inhabituel. En effet, être chirurgien c’est avoir «vil métier». Le médecin, lui, est un savant qui exerce avec son cerveau. Tout au long du XVIIIe siècle, le médecin touche le moins possible aux malades. D’ailleurs, «Le chirurgien qui briguait les honneurs de la licence en médecine devait s’engager publicis notariorum instrumentis à ne plus faire aucune opération aut aliam artem manuariam4.» Pourtant, plusieurs exemples démontrent qu’une fois médecin, Sarrazin recourt régulièrement à la chirurgie et qu’elle fait partie intégrante de sa thérapeutique : «Le Sr de Sarrazin étant le seul unique médecin qui soit dans tout le pais, […] fait aussy très souvent la profession de chirurgien […]5

La forte présence de chirurgiens qui répondent à la majorité des demandes de soins en Nouvelle-France rend encore plus surprenante la pratique médicale de Sarrazin. C’est qu’il fait partie de cette minorité qui décide de rompre avec les anciennes théories et s’appuie sur l’anatomie et l’observation. Initiée par les chirurgiens, dont Jean-Louis Petit (1674-1750), cette nouvelle approche permettra aux chirurgiens de définir les limites d’une intervention thérapeutique et d’expliquer rationnellement la maladie et son évolution.

De même, certains médecins seront aussi intéressés par l’anatomie. De fait, pour eux, la compréhension du corps humain était d’un intérêt certain: «Si utiles qu’eussent été les découvertes anatomiques pour les chirurgiens, elles revêtaient une importance plus grande encore pour les médecins, grâce aux perspectives qu’elles ouvraient à la pathologie»6, c’est-à-dire à la compréhension des causes des symptômes. Pour Richard H.Shryock, «l’intérêt pour l’observation clinique, joint à une exploration plus poussée de l’anatomie pathologique, ouvrait de belles perspectives à la recherche7

Influencé par les nouveaux courants médicaux qui privilégient une approche active envers le patient, que ce soit par le biais de ses études en France ou par l’entremise des nombreux livres de chirurgie qu’il possède, Sarrazin n’a jamais renié son expérience de chirurgien et ce d’autant plus qu’elle lui sert dans sa thérapeutique.

1 – Jean-Richard Gauthier, Michel Sarrazin, un médecin du roi en Nouvelle-France. Sillery, Septentrion, 2007, 129 p. [retour au texte]
2 – . Cité Arthur Vallée, Un biologiste canadien Michel Sarrazin (1659-1735(sic). Sa vie, ses travaux et son temps. Québec, Ls-A. Proulx, 1927, p. 18. [retour au texte]
3 – . Lettre de Champigny au ministère, 6 novembre 1695, ANQ-M, AC, Série C11A, vol. 13, fol. 347-366v. [retour au texte]
4 – . Le Maguet, Paul-Émile. Le monde médical parisien sous le grand roi. Genève, Slatkine Reprints, 1971, p. 238. [retour au texte]
5 – . Lettre de Callière et Beauharnois au ministre, 3 novembre 1702, ANQ-M, AC, Série C11A, vol. 20, fol. 56-78. [retour au texte]
6 – . Shryock, Richard H. Histoire de la médecine moderne. Paris, A. Colin, 1958, p. 46. [retour au texte]
7 – Ibid. [retour au texte]
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