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Les livres médicaux au Canada au 18e siècle parmi les praticiens civils

Les livres médicaux au Canada au 18e siècle
parmi les praticiens civils

 

par Rénald Lessard
Docteur en histoire, Université Laval
Coordonnateur, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec
Stéphanie Tésio
Docteur en histoire, Université de Caen
Docteur en histoire, Université Laval

Les inventaires après décès, actes notariés par excellence, regorgent de détails au sujet des biens de nos ancêtres et nous informent sur leur mode de vie à un moment très précis. Au hasard des lignes, le notaire, témoin oculaire et scripteur, s’attarde, s’il y a lieu, sur la bibliothèque du défunt. De la simple mention à sa description complète, la bibliothèque fournit une idée assez précise des lectures d’alors : la littérature, la religion, l’histoire, le droit et la médecine. Celle-ci devient souvent un outil essentiel pour son propriétaire. Les praticiens de la santé représentent un exemple de ceci. La possession et la diffusion du livre marquent à la fois une meilleure institutionnalisation du savoir médical et une forme d’intellectualisation de la profession. Et qui dit savoir, dit pouvoir.

Nos travaux permettent de recenser pour le Canada français, entre 1608 et 1788, 12 médecins, 20 apothicaires et environ 512 chirurgiens, soit 544 praticiens, nés pour la plupart en France. Sur cet ensemble, seulement 11 fournissent des inventaires après décès avec mention de bibliothèques dont deux d’apothicaires : Claude Boiteux de Saint-Olive (1740) et Jean-Baptiste Chrétien (1800) ; et le médecin Michel Sarrazin (1734). Ainsi, l’étude des inventaires après décès exprime les intérêts professionnels de chacun.

La majorité des praticiens de la santé ont moins de dix livres. Les cas de Bernard Duberger (chirurgien), de Richard Hope (chirurgien) et de Michel Sarrazin (médecin) sont exceptionnels : leurs bibliothèques comptent respectivement 77, 83, et 45 ouvrages relatifs à la pratique médicale. Bernard Duberger a entre autres des livres de médecine, de chirurgie et de pharmacie. Richard Hope, des ouvrages de médecine et de chirurgie. Michel Sarrazin, des livres de médecine, de pharmacie, de chirurgie, de botanique et de zoologie, ces deux dernières disciplines étant en lien avec ses activités extraprofessionnelles. Au contraire de ce qui est observé parmi les praticiens civils en Basse-Normandie au 18e siècle, les praticiens canadiens ne se concentrent pas sur leur spécialité ; ils manifestent une certaine ouverture intellectuelle due notamment à l’absence de limites professionnelles claires entre médecins, chirurgiens et apothicaires. La pratique médicale se concentre d’ailleurs presque exclusivement entre les mains des chirurgiens. À titre d’exemple, les quelques inventaires après décès d’apothicaires et de médecins bas-normands indiquent nettement pour le 18e que ces personnes possèdent quasiment exclusivement des ouvrages en lien direct avec leur profession, car les champs de la pratique médicale sont très réglementés et bien délimités en France métropolitaine.

Les grands auteurs de l’époque, tels Dionis, Boerhaave, Sydenham, Ettmuller en matière médicale, ou tels Lémery, Bauderon, Charras ou Helvétius en matière pharmaceutique, y sont représentés. Dans bien des cas, les descriptions des bibliothèques dans les inventaires après décès, que ce soit au Canada ou même en Normandie, sont très sommaires, se résumant à l’auteur et au titre quelquefois abrégé. Il manque bien souvent les dates de parution et les éditeurs. Toutefois, les dates de publication et d’inscription au catalogue de la bibliothèque du collège des Jésuites à Québec, une fois rapprochées, montrent que les nouvelles parutions atteignent la Colonie relativement rapidement.

L’achat de livres et leur diffusion ne répondent pas tout à fait aux mêmes critères que la métropole. Il n’y a pas d’imprimerie au Canada sous le Régime français, celle-ci est implantée en 1764 à Québec et en 1776 à Montréal. D’ailleurs, le premier ouvrage imprimé consacré à une question médicale, Direction pour la guérison du Mal de la Baie Saint-Paul, ne paraît qu’en 1785. Généralement, les praticiens canadiens aux 17e et 18e siècles se procurent des livres dans leur pays d’origine et arrivent avec ceux-ci dans la colonie. Une fois arrivés au Canada, soit ils passent commandes auprès de marchands locaux ou métropolitains, soit ils n’hésitent pas à en acquérir lors de vente aux enchères des biens de leurs collègues décédés. Cependant, il est à noter qu’au Canada, ce sont les bibliothèques des communautés religieuses (Jésuites, Augustines entre autres) qui sont les mieux garnies. Or, ces bibliothèques ont subi des pertes majeures à la suite d’incendies et effets de guerre. Il est donc souvent difficile de les reconstituer et de les étudier. Les trois hôtels-Dieu subissent des feux dévastateurs : Montréal en 1695, 1721 et 1734, Québec en 1755 et Trois-Rivières en 1752. Il reste, par exemple, aujourd’hui 135 ouvrages médicaux rattachés au fonds d’archives des Jésuites.

Les caractéristiques générales des bibliothèques médicales d’une grande partie des membres du corps de santé se résument ainsi : livres peu nombreux ; publications en français ; ouvrages généraux plutôt que spécialisés ; ouvrages d’auteurs connus ayant une large diffusion ; livres imprimés surtout à Paris ; rareté des nouveautés ou des livres ayant fait l’objet de polémique ; ouvrages souvent publiés d’abord au 17ème siècle puis réédités par la suite ; ouvrages touchant à la fois à la médecine, à la pharmacie et à la chirurgie ; et enfin, présence d’ouvrages de médecine charitable facilement accessibles.

Au fil des ans, le nombre de membres du corps médical ayant des livres et le nombre de livres par praticiens augmentent. Ils ont à leur disposition les ouvrages les plus courants de leur époque et rien n’indique à ce niveau un retard significatif par rapport à leurs collègues européens.

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