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Conférence au Salon du livre de Blois Jeanne Mance De Langres à Montréal, la passion de soigner

Conférence au Salon du livre de Blois
Jeanne Mance De Langres à Montréal, la passion de soigner
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par Françoise Deroy-Pineau *

 

Jeanne Mance - Françoise Deroy-Pineau

Crédit : BQ

Langres, 1606 – Montréal, 1673. Entre ces deux dates s’inscrit le destin de Jeanne Mance. Un parcours hors du commun. Rien ne pouvait laisser supposer que la seconde fille de Charles Mance, modeste procureur, pousserait l’esprit d’autonomie jusqu’à outrepasser les normes d’une femme de son temps2 pour franchir le terrible océan; aller à la rencontre de ceux qu’on appellera les Premières Nations d’Amérique du Nord et devenir co-fondatrice de Montréal. Pourtant, la vie l’y avait préparée. Entre 1606 et 1639, Langres voit mourir presque la moitié de sa population, conséquences conjuguées de la peste et de la guerre. Les hommes se tiennent jour et nuit sur le pied de guerre. Les femmes doivent savoir soulager et soigner le flot continu des blessés. Jeanne s’y illustre.

Le départ pour Paris

Curieuse femme, qui n’a pas fini de susciter les interrogations dans son entourage. Bonne volonté, certes, et efficace, à la réputation bien établie de soignante, mais pas du genre à imiter autrui. Vers sept ans, elle décide en son for intérieur de se consacrer à Dieu par le vœu de chasteté. À quinze ans, elle refuse de devenir religieuse. À seize ans, elle tombe gravement malade. Les médecins la sauvent et lui prédisent une santé fragile pour le reste de ses jours. À vingt-neuf ans, elle fait preuve de piété exceptionnelle en entrant dans l’exigeante Confrérie du Saint-Sacrement, mais ne rêve en secret que de partir rendre service dans le lieu estimé le plus redoutable et le plus démuni au monde, où seuls les hommes peuvent aller, dit-on : la Nouvelle-France. Mi-avril 1640, elle apprend par un cousin parisien l’aventure de Marie Guyard de l’Incarnation et, surtout, celle de sa bailleuse fonds, Madeleine de La Peltrie, première femme laïque et célibataire à partir en Nouvelle-France. C’est un précédent. Le 30 mai 1640, Jeanne part à Paris pour trouver les moyens d’aller en Canada. À Langres, on pense qu’elle va en cette grande ville « pour s’y faire voir », comme bien d’autres.

De Paris à La Rochelle


Dans la capitale, après examen sérieux des propos inouïs de Jeanne – provinciale ni noble, ni religieuse, ni fortunée – elle est encouragée par des jésuites et un récollet à poursuivre son projet. Son charme lui attire partout des amis. Angélique Faure, veuve de Claude de Bullion richissime surintendant des finances, s’engage à financer pour elle un hôpital en Nouvelle-France et lui donne tout de suite ce qu’il faut pour prouver sa bonne volonté. Munie d’espèces sonnantes et trébuchantes, Jeanne file à La Rochelle et y rencontre le promoteur d’une expédition qui se prépare, Jérôme Le Royer de La Dauversière et son jeune chef, Paul de Chomedey. Elle est immédiatement recrutée comme « femme de vertu assez héroïque et de résolution assez mâle pour venir dans ce pays prendre le soin de toutes les denrées et marchandises nécessaires à la subsistance de ce monde et pour servir en même temps d’hospitalière aux malades ou blessés ». Ce départ fait grand bruit. La Gazette de Théophraste Renaudot du 9 mai 1641 signale : « Aujourd’hui par le soin du sieur de Saint-Christofle, s’est fait l’embarquement de Canada et de l’isle de Montréal […]. La demoiselle Mance, originaire de la ville de Langres […] qui mène une vie exemplaire [ ] y est aussi. »

L’arrivée à Québec

 

Après les affres de la traversée, Jeanne débarque à Québec complètement épuisée le 8 août 1641. Elle y rencontre Madeleine de La Peltrie, hébergée dans la plus belle maison de Québec où elle est aussi invitée. La guérilla iroquoise menace. La situation est problématique. Le projet de fondation de Montréal s’avère une folle entreprise. Un hiver passe à la préparer avec les gens de Québec convertis au « montréalisme ».
Le 17 mai 1642, Monsieur le gouverneur de Québec met immédiatement et officiellement Paul de Chomedey en possession de l’Île. Des Amérindiens amis viennent planter leurs tipis non loin. Leur chef prononce un beau discours en haut de la Montagne : « Mon grand-père […] a cultivé la terre en ce lieu-ci. Les blés d’Inde y venaient très bien; le soleil y est très bon ». Prenant de la terre avec ses mains : « regardez, dit-il, la bonté de la terre. Elle est excellente. » Mais il décline l’offre de se sédentariser près des Français.

La vie à Montréal

En avril 1643, une escarmouche survient avec une bande ennemie d’Agniers (Mohawks). C’est la première d’une longue série qui ne cessera guère du vivant de Jeanne. Louis XIII et Richelieu sont morts. Qui soutiendra la nouvelle colonie ?
Jeanne réussit à fonder un Hôtel-Dieu et soigne les blessés des combats, qu’ils soient Français ou Amérindiens. Elle s’avère aussi la conseillère écoutée du gouverneur de Montréal, Paul de Chomedey de Maisonneuve, et des habitants qui la sollicitent comme marraine. À toutes fins pratiques, son aventure personnelle se confond désormais avec celle de la colonie, qu’elle va sauver à plus d’un titre. Lorsqu’on entend la cloche d’alarme, les assaillis se replient en vitesse. Quelques-uns sont atteints par les flèches ou les arquebuses ennemies. Jeanne va au-devant des blessés et soigne leurs plaies, comme elle faisait à Langres dans sa jeunesse. Trois fois, elle devra partir en France, laissant l’hôpital à des assistantes, pour mener des démarches financières qui épargneront la colonie. Grâce à elle, la « recrue de 1653 » (cent hommes) viendra prêter main-forte à Montréal. En 1659, trois religieuses hospitalières de La Flèche viennent l’aider. L’une d’elles, Judith Moreau de Brésolles, née à Blois, est une remarquable apothicairesse.
En juin 1672, Jeanne pose la première pierre de la nouvelle église paroissiale de Montréal, mais à partir du printemps 1673, elle ne quitte plus sa chambre et finalise son testament3. Le 18 juin1673, dans la soirée, elle rend l’âme. Marguerite Bourgeoys, mère de la Nouvelle-France (conjointement avec Marie de l’Incarnation), la veille.

Des rappels mémoriels

Le souvenir de Jeanne Mance survit jusqu’à nos jours, incarné par des statues, des tableaux, des vitraux, des rues, des écoles, des édifices, une circonscription électorale, des timbres. Notons, entre autres, l’érection, en 1909, d’un monument de bronze à sa mémoire, Place d’armes à Montréal. En 1973, les Postes canadiennes impriment un timbre commémoratif du tricentenaire de sa mort. En 1976, un bâtiment gouvernemental porte pour la première fois le nom d’une femme, celui de Jeanne Mance. Il s’agit du siège social du ministère de la santé à Ottawa. Désormais, Jeanne Mance est considérée comme fondatrice de la ville de Montréal, à égalité avec Paul Chomedey de Maisonneuve.
Auteure de Jeanne Mance – De Langres à Montréal, la passion de soigner (Bibliothèque québécoise – 2009 http://www.livres-bq.com/ ) donne une conférence sur cette infirmière « sans frontières » dont la passion de soigner lui fit traverser l’océan pour venir fonder l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1645.

 

  1. Pour les dates précises et plus de détails, se reporter à notre biographie de Jeanne Mance, 2009 (1e ed, 1995), Jeanne Mance. De Langres à Montréal, la passion de soigner. Montréal, Bibliothèque Québécoise.
  2. cf dictionnaire de Furetière : « Celle qui conçoit et qui porte les enfants dans son ventre […] (être) lâche, oisif […]» (cité par François Lebrun, 2000).
  3. Ce testament est conservé aux archives des religieuses hospitalières de la Flèche à Montréal qui animent aussi un très beau musée de la médecine et des soins.
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