Un 400e anniversaire franco-québécois :
l’assassinat de Henri IV
(14 mai 1610)
par Eric THIERRY
Docteur de l’Université de Paris-Sorbonne, professeur d’histoire
Crédit : Les Editions Honoré Champion |
2010 est l’année du 400e anniversaire de l’assassinat de Henri IV. Eric Thierry, auteur de La France de Henri IV en Amérique du Nord (Paris, Honoré Champion, 2008), nous rappelle les grands moments de la vie et du règne de ce roi qui a tenté de réconcilier ses sujets français et protestants, qui a contribué à la relance de l’économie de son royaume et qui a permis à Champlain et à Dugua de Mons de fonder Québec en 1608.
La fin des guerres de Religion
Né à Pau le 13 décembre 1553, le futur Henri IV est le fils d’un descendant de saint Louis, Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, et de Jeanne d’Albret, reine de Navarre. Il passe ses sept premières années dans son Béarn natal, en contact avec les petits paysans. Puis, à partir de 1561, il vit à la cour de France, où il grandit en compagnie du jeune roi Charles IX et du frère de celui-ci, le futur Henri III. Sa mère, veuve et calviniste, le ramène dans le Béarn en 1567. Henri de Navarre fait alors sa première campagne militaire, pour mater une révolte en Basse-Navarre, et gagne La Rochelle, pour participer, aux côtés de l’amiral de Coligny, à la 3e guerre de Religion, dans le camp protestant.
En 1572, la reine Catherine de Médicis lui fait épouser sa fille Marguerite de Valois, avec l’espoir de réconcilier les Français des deux confessions, mais peu de temps après la célébration de l’union, le 24 août, commence le massacre de la Saint-Barthélemy. Les protestants présents à Paris sont tués et Henri de Navarre est contraint de devenir catholique. Il reste prisonnier à la Cour jusqu’en 1576, date à laquelle il s’enfuit et prend la tête du parti protestant, lors d’une nouvelle guerre de Religion qui déchire la France.
L’assassinat du roi Henri III, le 1er août 1589, fait de Henri de Navarre le nouveau souverain français, en vertu de la loi salique qui veut que la couronne soit transmise uniquement par les hommes au plus proche parent mâle du monarque défunt. Henri IV n’a alors de cesse de reconquérir son royaume, où les Espagnols soutiennent la Ligue catholique et songent à donner la couronne de France à une fille de leur roi Philippe II. Pour être accepté par tous ses sujets, Henri IV redevient catholique dans la basilique de Saint-Denis le 25 juillet 1593. La ville de Reims étant aux mains des ligueurs, il se fait sacrer dans la cathédrale de Chartres le 27 février 1594. Puis, le 22 mars suivant, il peut faire son entrée dans Paris, qui était jusqu’alors sous le contrôle de la Ligue. Après une guerre contre l’Espagne et les derniers chefs ligueurs, il signe, le 30 avril 1598, l’édit de Nantes qui met fin à presque un demi-siècle de guerres civiles. Protestants et catholiques peuvent alors vivre ensemble, même si des tensions demeurent.
Le redressement de la France
Le règne de Henri IV permet une reprise en main de la France. En témoignent des grands travaux réalisés à Paris, comme la grande galerie du Louvre, le Pont-Neuf, la place Dauphine et celle des Vosges. Le roi veut que sa capitale soit belle et pleine de toutes les commodités. Aussi veille-t-il à ce que les ordonnances d’urbanisme des règnes précédents soient réellement appliquées. Elles concernent les alignements, les auvents et enseignes qui encombrent la voie publique, la police et la salubrité des rues.
Le retour de la paix permet aussi la relance de l’économie française. Le sort des paysans s’améliore, avec la démobilisation des soldats qui ravageaient auparavant le pays et l’allègement de la pression fiscale permis par les économies de Sully, le fidèle surintendant des finances. Le roi encourage l’assèchement de marais, en particulier dans le Poitou. Il contribue aussi à une large diffusion du Théâtre d’agriculture d’Olivier de Serres, qui paraît en 1600 et qui connaît cinq éditions en dix a ns. Des cultures nouvelles y sont prônées : celles du mûrier, du maïs, du houblon et de la betterave, qui doivent permettre de diversifier le maigre éventail de la tradition française, formé surtout de céréales.
Pendant le règne de Henri IV, il y a également un développement de l’industrie. Le roi cherche à développer des productions de luxe pour satisfaire les goûts de la noblesse et de la bourgeoisie et procurer du travail au petit peuple et à la foule des vagabonds, qui a grossi dans les villes et les campagnes à cause des guerres civiles. A Paris, dans le nord du terrain des Tournelles, il fait élever une manufacture où il attire des ouvriers italiens. Des métiers et des moulins à étirer les fils de métal commencent à y fonctionner, mais l’établissement périclite vite et est englobé dans le projet d’urbanisme de la place des Vosges. Un pareil effort est mené pour concurrencer, à Mantes, les crêpes fins de Bologne et, à Troyes, les satins de Bruges.
Pour faciliter les échanges à l’intérieur du royaume, les réseaux fluvial et routier sont améliorés, sous la responsabilité de Sully, qui détient aussi la charge de grand voyer. Des canaux sont creusés, comme celui de Briare qui est destiné à relier la Seine et la Loire, et les grands chemins sont retracés, remblayés et repavés. Des arbres sont même plantés sur les bas-côtés. Ce sont des tilleuls ou les fameux « ormes de Sully ». Pour tout cela, un corps d’ingénieurs est créé, afin de ne plus dépendre des étrangers.
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La naissance de l’Amérique française
Le redressement de la France s’opère aussi au-delà de ses frontières. En digne héritier des Valois, Henri IV conteste la mainmise ibérique sur le Nouveau Monde. Il rêve de voir ses sujets s’implanter au Brésil et cherche à créer des établissements fixes sur les littoraux de l’Amérique du Nord-Est, afin d’assurer à son royaume le contrôle de la pêche à la morue et de la traite des fourrures. Dès 1598, il fait de La Roche son lieutenant général pour les « païs de Canada, Hochelaga, Terres-neuves, Labrador, riviere de la grand Baye, de Norembergue et terres adjacentes », mais ne lui accorde que l’exclusivité du commerce.
Déçu par l’établissement unique créé par La Roche sur l’île de Sable, Henri IV se tourne vers le Honfleurais Pierre Chauvin, qui est gentilhomme ordinaire de sa chambre. En janvier 1600, il lui attribue un monopole de la traite des fourrures sur cent lieues le long du Saint-Laurent à partir de l’embouchure, et durant l’été suivant, Chauvin construit un poste de traite à Tadoussac. Il y laisse seize hommes, mais seuls quelques-uns survivent à l’hiver, secourus par les Montagnais. Ils sont rapatriés dès le printemps suivant. A la mort de Chauvin, en février 1603, c’est au commandeur Aymar de Chaste qu’Henri IV accorde le monopole de la traite des fourrures.
Associé avec plusieurs marchands de Rouen, ce vice-amiral de France et gouverneur de Dieppe fait partir, dès mars 1603, une expédition en direction du Saint-Laurent, sous la conduite du Malouin Gravé du Pont qui est accompagné de Champlain. À Tadoussac, les deux hommes participent à un conseil avec les Montagnais. Là, deux indigènes, qui ont été conduits en France l’année précédente et qui ont rencontré le roi, font un compte rendu de leur séjour, soulignant la volonté d’Henri IV de peupler leur terre et de les aider à lutter contre les Iroquois. Puis, de juin à septembre 1603, Gravé du Pont et Champlain remontent le Saint-Laurent jusqu’aux rapides de Lachine, reviennent sur leurs pas et vont pêcher à Gaspé, où ils rencontrent le Malouin Jean Sarcel qui leur dit avoir vu en Acadie, au fond de la baie de Fundy, des mines de cuivre et d’argent. Enthousiastes, ils reviennent en France, mais apprennent, dès leur arrivée, la mort de Chaste.
Résolu à faire aboutir son projet d’expansion outre-Atlantique, Henri IV privilégie l’Acadie, aux richesses minières prometteuses, et en confie la conquête à un autre gentilhomme ordinaire de sa chambre, le Royannais Pierre Dugua de Mons. Le 8 novembre 1603, il le nomme son lieutenant général pour toutes les terres situées du 40e au 46e degré de latitude, c’est-à-dire au nord de la Virginie confiée à Raleigh par Elisabeth 1ère d’Angleterre en 1584, et, le 18 décembre suivant, il lui accorde pour dix ans le monopole de la traite des fourrures sur le littoral atlantique (du 40e au 46e degré de latitude), dans la Gaspésie et sur les deux rives du Saint-Laurent.
Dès février 1604, Dugua de Mons parvient à s’associer à des marchands de Rouen, Saint-Malo, La Rochelle et Saint-Jean-de-Luz. Partie de Honfleur et du Havre sur deux navires en avril 1604, son expédition se retrouve en Acadie le mois suivant. Elle explore les côtes des actuels Nouvelle-Ecosse et Nouveau-Brunswick à la recherche d’un lieu propre à une « habitation » et choisit de s’installer sur l’île Sainte-Croix, dans l’actuel État américain du Maine. Pendant le premier hiver, le scorbut emporte trente-cinq ou trente-six hommes et les survivants préfèrent déménager, dès l’été 1605, de l’autre côté de la baie de Fundy, dans celle de Port-Royal (l’actuelle baie d’Annapolis, en Nouvelle-Ecosse). La colonie se maintient jusqu’en août 1607, date à laquelle les colons l’abandonnent pour rentrer en France. Désireux de contrôler le marché de la fourrure en Europe, des marchands d’Amsterdam ont tellement mis à mal le monopole de Dugua de Mons que sa compagnie a dû être dissoute durant l’hiver 1606-1607. Pour satisfaire ses alliés hollandais, Henri IV a même fini par révoquer le privilège de son lieutenant général en Nouvelle-France, le 17 juillet 1607.
Le 7 janvier 1608, comme il a appris la fondation de la colonie anglaise de Saint-George en Acadie, le roi accepte de surseoir temporairement à la révocation du monopole de Dugua de Mons. Celui-ci en profite pour faire partir Champlain en direction de Québec, qu’il fonde en juillet. Contrairement à la vallée du Saint-Laurent, l’Acadie lui apparaît sans véritable avenir quant à la traite des fourrures et à l’accès à la mer d’Asie, sans parler des mines qui se sont révélées assez décevantes. Après un hiver québécois particulièrement dur, Champlain part en campagne contre les Iroquois. La victoire qu’il contribue à remporter, à Ticonderoga le 30 juillet 1609, lui permet de renforcer son alliance avec les Montagnais et d’en conclure de nouvelles avec les Algonquins et les Hurons. Cependant, Henri IV révoque définitivement le monopole de Dugua de Mons le 6 octobre suivant. Il songe alors à la création d’une compagnie franco-hollandaise des Indes orientales et a besoin du concours de marchands opposés au privilège de son lieutenant général. Henri IV veut être un roi d’ouverture tous azimuts, mais le poignard de l’extrémiste catholique Ravaillac l’en empêchera le 14 mai 1610.
Les lecteurs peuvent visiter :
Le site web de l’éditeur Honoré Champion
Le site de la société Henri IV, dédié à l’actualité de la recherche autour du vert galant et de son époque
La page de Caroline Valbrun du magazine en ligne Suite 101, pour connaitre les manifestations prévues en France pour la commémoration l’assassinat de Henri IV