Le patrimoine matériel
Le Vieux-Québec : haut-lieu de l’Amérique française,
témoin de l’héritage français
par Gilles Durand
Le Vieux-Québec : au centre, l’église de Notre-Dame-des-Victoires
Crédit : Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Pierre Lahoud, 2004
Le 25e anniversaire de l’inscription de l’arrondissement historique de Québec sur la Liste du patrimoine mondial, sous la responsabilité de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, constitue une occasion privilégiée par la Ville de Québec, le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, le Musée de la civilisation et la Société historique de Québec pour faire ressortir ce que la ville doit à l’héritage français. Entre autres initiatives, ils donnent la parole à trois conférencières et conférencier, Lucie K. Morisset, Jean-François Caron et Denyse Légaré, en 2010-2011, pour présenter des éléments du patrimoine matériel en lien avec l’empreinte française.
L’empreinte des 17e et 18e siècles
La Ville de Québec offre aux visiteurs plusieurs rappels de l’implantation française en Amérique du Nord. Un buste installé à trois reprises à l’effigie de Louis XIV sur la place Royale, les vestiges impressionnants du château des gouverneurs, dégagés en bordure de la terrasse Dufferin, et des palais de l’intendant, découverts lors de fouilles à proximité du nouveau Palais de justice, constituent des traces éloquentes de l’administration royale et coloniale. La basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec, reconstruite trois fois sur ses murs originaux, l’église de Notre-Dame-des-Victoires inscrivent les débuts de la propagation de la foi sur le continent nord-américain au 17e siècle. Des bâtiments institutionnels de la Haute-Ville dont les parties les plus anciennes remontent au 17e siècle ou dans la 1re moitié du 18e siècle, tels le monastère des Ursulines, le monastère des Augustines hospitalières, le Séminaire de Québec, dont les origines remontent au 17e siècle et sont à l’origine des services d’éducation, de santé et de services sociaux, représentent des projets réussis inspirés des collèges et des couvents français du 17e siècle. D’autres éléments du bâti ancien, situés dans la Basse-Ville en bordure du fleuve Saint-Laurent, par exemple la maison du marchand Guillaume Estèbe construite vers 1752 et maintenant intégrée au Musée de la civilisation depuis 1987, dévoile le visage de l’architecture classique française et la vocation ancienne de Québec comme centre des activités commerciales et portuaires de la colonie du 17e au 20e siècle.
Fidélité à l’architecture française dans la 2e moitié du 19e siècle
La conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques ne brise pas la chaîne qui relie l’ancienne colonie française, devenue colonie britannique et entité fédérée après 1867, à l’ancienne mère patrie. Des bâtiments importants le démontrent. L’Hôtel du Parlement est érigé entre 1877 et 1886 selon les plans d’inspiration Second Empire de l’architecte Eugène-Étienne Taché. Le Palais de Justice, l’ancien aujourd’hui désigné comme l’Édifice Gérard-D.-Lévesque, construit entre 1883 et 1887, est conçu par Taché et l’architecte en chef du département des Travaux publics du Québec, Jean-Baptiste Derome, dans le même style Second Empire. L’église de Saint-Jean-Baptiste, élevée de 1881 à 1886, selon les plans de Joseph-Ferdinand Peachy, demeure un exemple remarquable de l’influence de ce style sur l’architecture religieuse québécoise. Dernier exemple, en 1896, Québec se dote d’un nouvel hôtel de ville, construit sur le site de l’ancien Collège des Jésuites; l’ouvrage, conçu par l’architecte Georges-Émile Tanguay, laisse apercevoir à travers les influences américaines et britanniques la persistance des courants architecturaux français.
Le mouvement de conservation du patrimoine identitaire
Le mouvement de conservation démarre vraiment au départ de l’armée britannique en 1871 et avec l’arrivée d’un nouveau gouverneur général en 1872, lord Dufferin. Devant le projet de démolition des murs des fortifications, Dufferin intervient avec succès auprès du conseil de ville de Québec pour leur préservation et la reconstruction des portes permettant de les franchir dans le style des châteaux médiévaux que le Français Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc avait contribué à faire apprécier des Québécois. Le coup d’envoi est donné. Avec le 20e siècle, le mouvement prend de l’ampleur sous l’effet des pressions exercées par le besoin d’espace pour construire des édifices plus spacieux et pour faciliter la circulation automobile de plus en plus dense. Les milieux nationalistes prennent position et s’investissent pour la refrancisation du Québec. De même les gouvernements provincial et municipal deviennent plus interventionnistes. Le gouvernement du Québec crée la Commission des monuments historiques et fait adopter plusieurs législations. L’interdiction restreinte à certains bâtis est dépassée. L’intérêt pour la préservation passera du bâtiment isolé à l’ensemble dans lequel il se situe.
Un geste concret dans la 2e moitié du 20e siècle : Le grand chantier de la place Royale
La première intervention, effectuée dans le cadre du grand chantier de restauration du secteur de la place Royale réalisé par le gouvernement québécois, porte sur la maison Jean-Baptiste-Chevalier, actuellement propriété du Musée de la civilisation. Le projet présente de l’intérêt pour l’histoire de la conservation du patrimoine au Québec. Il est mené entre 1957 à 1963. Le bâtiment actuel est un ensemble de quatre maisons contiguës d’inspiration française, l’une des quatre ayant été ajoutée en 1960 dans l’esprit des trois autres comme maison d’accompagnement. Les travaux comprennent le réaménagement de l’entrée principale du côté de la cour arrière et visent à donner à l’ensemble l’allure d’un hôtel particulier français du 18e siècle qu’il n’a jamais eu.
La restauration de l’ensemble du secteur de la place Royale débute trois ans plus tard, en 1966. Le gouvernement du Québec, maître d’œuvre du projet, vise à lui redonner le visage français qu’elle pouvait avoir au milieu du 18e siècle. Des bâtiments sont entièrement reconstruits (17 en 1978), en s’inspirant de l’architecture française du 18e siècle, d’autres sont restaurés (neuf en 1978), des constructions plus récentes, cadrant mal avec les nouvelles reconstitutions, sont démolies. L’année 1978 marque un cran d’arrêt, le moment étant venu de concilier les préoccupations identitaires avec trois impératifs : tenir compte de l’évolution du secteur au cours de plus de trois siècles et demi – c’est-à-dire ne pas s’en tenir uniquement à l’allure d’un bâtiment au 18e siècle –; maintenir une fonction résidentielle aux immeubles; enfin répondre aux besoins des résidents par des commerces et des services de proximité.
Pour en savoir davantage
Les personnes intéressées à approfondir le sujet peuvent consulter les écrits suivants des conférencières et conférencier :
- Des régimes d’authenticité : essai sur la mémoire patrimoniale / Lucie K. Morisset, Presses de l’Université du Québec et Presses de l’Université de Rennes, 2009, 131 p.;
- « Parc Montmorency » / Jean-François Caron, Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française
- Denyse Légaré, « Le siècle hybride » dans Continuité, no 119, hiver 2008-2009, p. 38-43
Site Internet et autres publications présentant également de l’intérêt :
- « Québec, ville du patrimoine mondial : neuf témoins racontent »
- Empreintes & mémoire : l’arrondissement historique du Vieux-Québec / Commission des biens culturels du Québec, Les Publications du Québec, 2007, 237 p.
- L’histoire du Vieux-Québec à travers son patrimoine / Jean Provencher, Les Publications du Québec, 2007, 277 p.