ROSE QUÉBEC
Rose de mémoire
par Maud SIROIS-BELLE
N’est-il pas émouvant de penser que le Canada français ait pu prendre une si grande place, en 1942-1943, dans le cœur et la tête d’un obtenteur français de roses, qu’il en vint à baptiser du nom de Québec sa dernière création ?
« Nous étions en 1943. C’était la guerre. Les nazis martelaient de leurs bottes le sol de France. Toutes les communications avec l’extérieur étaient coupées. J’avais le sentiment qu’un jour, des régiments de l’Amérique du Nord viendraient participer à la libération de mon pays, et qu’il s’y trouverait des soldats francophones de la vallée du Saint-Laurent. J’ai spontanément appelé ma nouvelle rose Québec. »
C’est ainsi que Jean Gaujard, créateur en 1941 de cette rose « soleil brillant », raconta en 1979 à Robert Prévost, commissaire général au Tourisme du Québec en France, la venue au monde de la rose Québec. Geste de résistance qui ne dit pas son nom chez un Lyonnais en attente de libération : fière audace que d’appeler à la rescousse un peuple allié à travers le nom d’une rose, alors que la France est sous occupation allemande. Le 19 août 1942 avait vu le tragique débarquement de 5000 Canadiens devant Dieppe : près de mille morts et deux mille prisonniers. Malgré tout, Monsieur Gaujard voulait croire au retour de ces lointains «cousins» de la vallée laurentienne. Appel entendu : en 1944, l’armée canadienne débarqua sur les plages de Normandie et s’engagea dans la longue marche de la libération de la France ; on y comptait de nombreux Québécois. La rose Québec, fleur d’espérance pour la France, fleur de mémoire pour les hommes venus du Québec en 1942 et 1944.
Rose québec
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Chacun a son histoire, chacun parcourt son « chemin de mémoire ». Ma première rencontre avec le rosier Québec eut lieu en 1976 lors d’une promenade au Jardin des Plantes à Paris. Je m’arrêtai devant un rosier qui portait un seul bouton non encore ouvert, jaune d’or frangé d’orange feu, et qui était accompagné d’une affichette :
« Rosier Québec, 1944 ». Pour la fille d’un « gars de la Chaudière » débarqué à Bernières le matin du 6 juin 1944, ce fut un moment de grand étonnement. A partir de ce jour-là, le rosier Québec du Jardin des Plantes devint mon « lieu de mémoire ».
Depuis le déplacement et le réaménagement de sa roseraie en 1995, plus trace du rosier Québec au Jardin des Plantes. Pourquoi ne pas suggérer de l’y remettre ? Après tout, ce jardin historique a vu le jour dans les mêmes années que la Nouvelle-France, à la demande de Louis XIII. Au dix-septième siècle, ses deux voisines les plus remarquables étaient à sa tête la Pitié et à ses pieds la Salpêtrière, lieux mémorables pour tout Québécois attaché à l’histoire des Filles du Roy. Plus de 250 jeunes pensionnaires pauvres et abandonnées de ces Maisons y furent « recrutées » pour partir « faire des familles » en Canada durant la décennie 1663-1673. Et certaines, venues de la Pitié, longèrent le Jardin royal des plantes médicinales un matin d’avril 1670, avant de monter dans le bateau qui devait les amener, avec celles arrivées de Saint-Jacques et de la Salpêtrière, jusqu’au Pont du Louvre (Pont Rouge), pour gagner Rouen, Dieppe et, de longs mois après, Québec.
Alors que, dans la seconde moitié du dix-septième siècle, se dessine en Amérique l’avenir d’un peuple, œuvrera pendant plusieurs dizaines d’années dans les jardins de Versailles de Louis XIV, auprès de Le Nôtre, un jardinier en chef du nom de Pierre Gaujard. Début d’une dynastie qui prend place de nos jours parmi les « grands » de la création florale. Jardiniers, puis pépiniéristes à Châteauroux depuis 1792, c’est en 1925 que les Gaujard prennent le chemin de Lyon et celui des « rosiéristes », rejoignant l’obtenteur Joseph Pernet-Ducher. Jean Gaujard crée alors la roseraie de Feyzin, près de Lyon. Il saura transmettre sa passion et son savoir-faire de l’hybridation des roses à son fils Jean-Jacques. Le flambeau est maintenant entre les mains de sa petite-fille Aveline Gaujard.
Nombreuses sont les récompenses officielles qui célébrèrent la beauté des roses Gaujard. « En 1979, la Société française des Roses choisissait la Pénélope de Jean Gaujard au nombre des trois grandes roses du siècle. Pour sa part, la future « Québec » reçut le « premier certificat » au concours de la Plus belle Rose de France en 1942. Jean Gaujard, qui travaillait déjà avec les rosiéristes américains, avait envoyé le rosier aux Etats-Unis avant même de lui attribuer son nom de Québec. « Nos voisins du Sud l’ignorant, la Québec reçut chez eux le nom de Madame Marie Curie. (…) L’année même (1943), Madame Marie Curie était sacrée « plus belle rose d’Amérique » par la All America Rose Selection. Clin d’œil du hasard, le petit square qui avoisine de nos jours la Salpêtrière, devenu un lieu refuge de « sans domicile fixe » de Paris, porte le nom de Marie Curie. Cette rose de qualité, jaune d’or, belle du bouton à la fleur épanouie, au léger parfum de thé, est fille d’un rosier de grande résistance – comme le fut Marie Curie, comme le furent nos premières grands-mères et comme le furent les soldats de la Vallée laurentienne venus se battre au pays des ancêtres pour la paix du monde.
Le hasard, toujours lui, me fit retrouver cette fleur il y a une dizaine d’années chez une voisine dans le Perche en Basse-Normandie, premier lieu de partance des pionniers français vers la Nouvelle-France. J’avais maintenant la
« Québec 1944 » à portée de vue, sous mes fenêtres. Elle était toujours cultivée. Commença alors une quête de pépinières parisiennes en pépinières normandes, de catalogues en catalogues, mais en vain. Cependant, je découvris son histoire au « hasard » d’une lecture. Une amie m’avait offert La France des Québécois de Robert Prévost. J’y trouvai l’odyssée de « ma belle », mais surtout la voie à suivre pour l’acquérir. Elle règne aujourd’hui au jardin, liée pour moi à l’aventure des Blais d’Amérique.
Rose Pierre Blais
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Le Voyage de retour aux sources de l’Association des Blais d’Amérique me donna en effet l’occasion d’en faire une réelle fleur de mémoire. Le 5 juin 2010, une trentaine de descendants nord-américains de Pierre Blais posaient une plaque à la mémoire de leur ancêtre au coeur de son village natal, Hanc, dans les Deux-Sèvres. L’accueil des Hancois fut si amical qu’il nous sembla impossible de ne pas pérenniser ce moment. Nous fûmes aussi reçus avec grande sympathie au pays de Jean Royer, père d’Elisabeth Royer, deuxième épouse de Pierre Blais, à Saint-Cosme-en-Vairais dans le Perche sarthois. Le comité d’organisation du voyage de retour aux sources se rallia à l’idée du « rosier Québec » : nous allions le planter à Hanc et à Saint-Cosme-en-Vairais. Ce qui fut fait en novembre 2010 auprès de la plaque mémorielle à Hanc, puis dans le « Square des pionniers » de Saint-Cosme-en-Vairais lors de son inauguration en juin 2011. Rose de mémoire, elle a aussi rejoint le jardin de « La Rosière », propriété percheronne de Jacques Nortier (administrateur de la CFQLMC), le si fidèle « passeur de mémoire » du Perche. Pourquoi ce rosier de lumière n’accompagnerait-il pas la plaque mémorielle qui, en 2013 (à l’occasion de la célébration du « 350e anniversaire du départ des Filles du Roy » par la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs en France), sera posée au coeur de la Cour Sainte-Claire à la Salpêtrière, rappelant que vécurent là près de 250 jeunes femmes qu’on dénomma « Filles du Roy »?
Pour plus d’informations techniques, voir le « Carnet horticole et botanique du Jardin botanique de Montréal »
Le rosier Québec peut être vu au Jardin botanique de Montréal.
Nos lecteurs peuvent consulter les articles de Maud Sirois-Belle sur les filles du roi , publiés dans les bulletins n° 30 et n° 32 ainsi que l’article Voyage de retour aux sources en France
Association des Blais d’Amérique dans le bulletin n° 31