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Brève histoire du régime seigneurial par Benoît Grenier

Brève histoire du régime seigneurial
auteur Benoît Grenier

 

Par Gilles Durand

 

Brève histoire du régime seigneurial

Source : Les Éditions du Boréal, 2012

L’auteur, Benoît Grenier, invite à revenir aux sources du fait français en Amérique. Il présente aux Éditions du Boréal le fruit d’une recherche d’une dizaine d’années sur l’histoire du régime seigneurial dans la vallée du Saint-Laurent depuis son implantation au 17e siècle jusqu’à son abolition en 1854 – près de 60 ans plus tard qu’en France – et la disparition de ses dernières traces en 1940. Dans un peu plus de 200 pages, il livre une synthèse accessible à tous, grand public comme historiens spécialisés, dont la lecture et la consultation sont encore facilitées par la présence d’un glossaire, d’une bibliographie des principales publications sur le sujet et d’un index onomastique. L’ouvrage brosse, en six chapitres, un tableau du régime seigneurial dans la vallée du Saint-Laurent, qui évite la vision idyllique tout comme l’approche d’un instrument d’oppression.

Une vision d’ensemble du régime seigneurial

La seigneurie sur le continent européen, tout particulièrement en France, fait l’objet du 1er chapitre. Ses détenteurs sont au nombre d’environ 40 000 dans la France de l’Ancien Régime. Au fil des siècles, la seigneurie se transforme, perdant ses pouvoirs politique et militaire face à la centralisation monarchique, pour ne conserver qu’un pouvoir local sur les détenteurs de censives. Par contre, elle n’en demeure pas moins un régime inégalitaire, fondé sur la supériorité d’individus sur d’autres. Les détenteurs de lopins, les censitaires, demeurent des propriétaires imparfaits. Ils ont des obligations face à leurs maîtres, soit le versement du cens, impôt non amortissable de nature symbolique, et de la rente, impôt onéreux, perpétuel et inamovible.

Le 2e chapitre cerne les contours et l’implantation de la seigneurie dans la vallée du Saint-Laurent. À la différence du vieux continent, la Nouvelle-France est un pays à coloniser et, de ce fait, donne à la seigneurie des couleurs quelque peu différentes. Le seigneur se présente comme un entrepreneur distribuant des terres pour faire mettre son fief en valeur. Compte tenu de la faiblesse des infrastructures et des maigres ressources dont il dispose, il s’adapte à la géographie en découpant sa seigneurie en bandes étroites et allongées de façon à ce que les censitaires puissent communiquer par voie d’eau; en effet, la forme rectangulaire n’est pas une caractéristique inhérente au système ni ne découle de la volonté du roi. Le seigneur a bien des obligations face à ses subordonnées, les censitaires, telle la construction de routes et d’un moulin à farine, mais celles-ci doivent plutôt être vues comme des conditions à la mise en valeur de sa seigneurie, dont il est le premier bénéficiaire.

C’est la diversité du monde seigneurial que le 3e chapitre nous fait connaître. Les seigneurs se présentent sous les visages les plus divers : ils peuvent être d’origine française ou, plus rarement, amérindienne, ecclésiastiques ou laïcs, nobles, commerçants ou roturiers, canadiens ou britanniques, hommes ou femmes, résidents ou absents sur leur fief. Ce dernier trait fait en grande partie l’originalité du chapitre. En effet, pour un très grand nombre, les seigneurs n’habitent pas leur seigneurie; le nombre de ceux qui y habitent atteint un sommet au milieu du 19e siècle avec moins de 40 %. Comment expliquer cette situation? L’obligation de tenir feu et lieu sur la seigneurie n’implique pas la résidence, mais la construction d’un manoir habité où les censitaires peuvent se rendre pour payer leurs redevances. L’auteur évite de généraliser la figure du seigneur-défricheur mettant lui-même la main à la charrue. Souvent, les seigneurs, tant laïcs qu’ecclésiastiques, font appel à des intermédiaires, fermiers à bail, régisseurs, etc., et ce d’autant plus qu’il y a cumul de fiefs.

Les trois derniers chapitres sont respectivement consacrés au régime seigneurial après la conquête britannique, aux relations seigneurs-censitaires et enfin à l’abolition et disparition définitive du régime. Ils dévoilent plusieurs facettes de grand intérêt, dont les facteurs qui ont mené à son abolition. Face au développement de l’industrie et du commerce et à la valorisation de l’esprit d’entreprise qui l’accompagne à la fin du 19e siècle, les hommes d’affaires, pour beaucoup des Britanniques, en viennent à regarder les droits et les monopoles seigneuriaux comme autant d’entraves à leurs activités. Bien qu’il y a nécessité de témoignages et de recherches additionnels sur les relations entre seigneurs et censitaires, plusieurs parmi ces derniers ont dénoncé les abus et la mauvaise administration seigneuriale, particulièrement lors de la révolte des patriotes de 1837-1838. Enfin, des législations de grande importance sont adoptées outre celle de 1854 mettant fin aux droits et devoirs seigneuriaux. L’Acte constitutionnel de 1791, en limitant l’application du régime au territoire déjà concédé et en introduisant ailleurs la tenure en franc et commun soccage[i], libre de droits seigneuriaux et caractérisée par le mode des cantons, signe l’arrêt de mort du régime. De même une loi du Québec de 1940, en transformant la rente constituée, encore payée par plusieurs censitaires, en une taxe spéciale dorénavant à verser à la municipalité pour une période maximale de 41 ans, fait disparaître la dernière trace du système.

L’empreinte du régime seigneurial, une institution au cœur du développement de la Nouvelle-France

Les marques du régime seigneurial constituent une partie substantielle du patrimoine culturel des Québécois. Elles se retrouvent dans la toponymie et leur tiennent compagnie dans leur vie quotidienne. Tantôt elles prennent la forme de paysages aux rectangles étroits et allongés; tantôt celle de bâtiments, manoirs et moulins; tantôt celle de plaques et monuments constituant autant de rappels mémoriels; tantôt encore celle de sources imprimées comme les Anciens Canadiens de Philippe Aubert de Gaspé, de manuscrits tels les aveux et dénombrements, ou de témoignages oraux relatant des traditions et des façons de faire transmises par la parole de génération en génération. Tantôt enfin les traces peuvent se dégager de personnages, lieux ou événements introduits ou réintroduits par les historiens dans la mémoire collective. Le legs du régime seigneurial est à l’heure actuelle inventorié, recueilli de plus en plus (dans le cas du patrimoine immatériel vivant qui se transmet de génération en génération – voir le Musée de la Mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli ) et mis en valeur. Les guides touristiques, des travaux de devanciers comme les Vieux manoirs, vieilles maisons de Pierre-Georges Roy, les musées, les bibliothèques et les archives invitent à reprendre contact avec ces témoins d’une époque disparue, mais qui n’en constituent pas moins une partie importante des caractères identitaires des Québécois en Amérique du Nord au même titre que la langue et la culture.

  • http://inventairenf.cieq.ulaval.ca:8080/inventaire/oneTheme.do?refTheme=39
  • http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/RPCQ/resultatRecherche.do?methode=afficherResultat

[i] Franc et commun soccage : Régime de propriété foncière en vigueur dans les townships au Canada sous le régime britannique et caractérisé par l’absence de droits seigneuriaux. Tiré de Benoît Grenier, Brève histoire du régime seigneurial, p. 221.

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