Frédéric Smith rappelle la relation franco-québécoise lors de la Deuxième Guerre mondiale
Par Gilles Durand
Source : La France appelle votre secours |
Le tableau de la résistance française au Québec
Le dernier ouvrage de Frédéric Smith, « La France appelle votre secours » : Québec et la France libre, 1940-1945 (Montréal, VLB, 2012, 296 p.) ouvre une nouvelle fenêtre sur la relation franco-québécoise à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale. Les événements se déroulent surtout dans la ville de Québec. L’histoire débute en 1940 après la prise du pouvoir par le gouvernement collaborationniste du maréchal Philippe Pétain et l’appel à l’aide du général Charles de Gaulle, réfugié à Londres, lancé le 18 juin 1940 aux Français du Canada et aux sympathisants à la cause d’une France libre et non effritée. Divisée en sept chapitres, selon un ordre chronologique, elle redonne la parole à des membres de la communauté de Québec, tant française que québécoise, et relate les gestes qu’ils ont posés pour participer à la résistance : soutien à l’envoi de vivres et de médicaments aux combattants gaullistes, mise sur pied du Comité France libre de Québec, accueil de représentants de la France libre lors de leur passage, etc. Elle prend fin, entre autres, avec la reconnaissance par les Américains du gouvernement provisoire de de Gaulle en octobre 1944, la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en mai 1945.
Des protagonistes de la résistance française de premier plan
L’auteur fait revivre des protagonistes de la résistance de premier plan ayant en commun leur attachement profond pour la France, tout en insistant particulièrement sur deux de ceux-ci, Marthe Simard, Caillaud de son nom de fille, et Auguste Viatte.
La première, Marthe Simard, est une Française née en Algérie. Fille d’un juriste, Édouard Caillaud, devenu président du tribunal de Douai, elle est québécoise par adoption à la suite de son mariage avec André Simard, chirurgien à l’Hôtel-Dieu de Québec et professeur à l’Université Laval. Elle se signale par son engagement à la suite de l’appel lancé par de Gaulle en juin 1940 : mise sur pied d’un premier comité France libre dans le monde, dont elle occupe la présidence, causeries à la radio sur l’état du conflit, déplacements à travers le Canada et visite des comités France libre pour entretenir le feu sacré, etc. Les services rendus à la cause de la France libre – avec l’aide de son mari le docteur André Simard – lui valent, en 1943, une invitation à occuper un poste politique exceptionnel, représentante de la résistance française au Canada à l’Assemblée consultative provisoire des Français, devenant ainsi la première femme parlementaire française. Par contre, lorsqu’arrive le temps des élections, Marthe Simard refuse la carrière politique que lui promet le général de Gaulle, préférant consacrer plus de temps à sa famille demeurée à Québec.
Le second, Auguste Viatte, est d’origine suisse, naturalisé français en 1934. Invité par l’Université Laval à donner des cours de littérature française, il s’établit à Québec, mais sans jamais perdre espoir d’obtenir une chaire d’enseignement dans une université de sa patrie d’origine. Maîtrisant aussi bien la plume – il est l’auteur en 1954 d’une Histoire littéraire de l’Amérique française – que l’enseignement et les causeries, il acquiert vite de la notoriété. Vivement intéressé par le devenir de la France, il participe au comité France libre de Québec avec d’autres compatriotes, tel le sociologue François Delos, dominicain. Pour plusieurs raisons, entre autres le penchant pétainiste de plusieurs Québécois, il garde une attitude réservée, pour ne pas dire mitigée, à l’endroit des deux chefs Philippe Pétain et Charles de Gaulle, mais il n’en est pas moins toujours consulté et exerce une grande autorité morale au sein du comité. En 1949, il voit ses vœux comblés par l’offre d’un poste de professeur de littérature à l’Université de Nancy. Il enseigne en France jusqu’en 1952, alors qu’il est invité à occuper, dans sa Suisse natale, la chaire de littérature française de l’École polytechnique fédérale de Zurich.
Quelques points forts de l’ouvrage de Frédéric Smith à signaler
L’ouvrage de Frédéric Smith constitue une étude fouillée sur les principaux acteurs de la résistance française lors du second conflit mondial. L’auteur a fait appel aux archives publiques, tant québécoise que française et suisse, de même qu’aux archives privées et à des interviews avec des témoins, qui peuvent même être acteurs à l’occasion, sans compter les documents imprimés. En s’appuyant sur des correspondances et des mémoires, tel le journal intime d’Auguste Viatte, il démontre tout l’intérêt des sources autres que sérielles – tels les recensements, listes de passagers, demandes de passeport – pour l’étude de la relation franco-québécoise. De plus, par son observation attentive et minutieuse de l’attitude des Français de Québec qui participent au mouvement de la résistance dirigée par de Gaulle, il apporte une contribution à l’hypothèse – de Leslie Choquette, professeure à l’Institut français du Collège Assomption, sur l’existence d’une véritable communauté transatlantique. Les migrants français en Amérique du Nord sont plutôt des transplantés que des déracinés. Les études menées à l’heure actuelle donnent à penser qu’il existerait des façons de sentir et de voir communes de part et d’autre de l’Atlantique, pouvant aller jusqu’à l’espoir de retourner un jour dans la mère patrie si les circonstances s’y prêtent.