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Les cimetières catholiques euroquébécois et leur évolution : Saint-Augustin-de-Desmaures à titre d’exemple

Les cimetières catholiques euroquébécois et leur évolution :
Saint-Augustin-de-Desmaures à titre d’exemple

Résumé d’une conférence prononcée le 24 octobre 2012,
dans le cadre d’une activité de la Société d’histoire de Saint-Augustin-de-Desmaures,
« Visiter un cimetière, ça ne fait pas mourir… »

 

Par Caroline Arpin,
archéologue spécialisée dans l’analyse des restes humains

Les cimetières euroquébécois sont les témoins de nos croyances, de nos rituels, mais surtout de notre perception et de notre rapport avec la mort. Dans un premier temps, nous présentons brièvement les différentes époques d’aménagement des cimetières euroquébécois catholiques et, dans un deuxième temps, leur évolution, de la fondation de la paroisse de Saint-Augustin à la fin du XVIIe siècle à l’actuelle ville de Saint-Augustin-de-Desmaures.

Du cimetière anonyme au cimetière discret
Rares sont aujourd’hui les témoins des premiers cimetières de l’époque de la Nouvelle-France. Ces premiers cimetières, de type paroissial, étaient involontairement voués à rapidement disparaître à cause des matériaux utilisés. Les cimetières de cette période, s’étalant grossièrement entre le XVIIe siècle et la moitié du XIXe siècle, sont ceinturés d’une clôture de bois ou d’un muret. La présence des défunts est soulignée par des croix de bois souvent sans inscription, qui sont disposées dans le plus grand fatras, au hasard des décès et sans réelle distinction entre les individus.  Le cimetière est alors un espace anonyme contenant majoritairement des fosses communes et comprenant un secteur béni et un secteur profane. Ce dernier était réservé aux exclus, notamment les excommuniés, les hérétiques, les gens d’autres religions, les suicidés, les enfants non baptisés et les gens de mauvaises mœurs.

Un peu plus tard, une pratique particulière provenant de l’Europe traverse l’Atlantique : les inhumations de type « ad sanctos » c’est-à-dire sous l’église. Les membres du clergé, les nobles, les seigneurs et les membres de leur famille, les plus fortunés pouvant payer pour y être inhumés, et ceux qui ont rendu des services à l’église ou au curé bénéficient de ce type d’inhumation qui devait rapprocher les défunts du paradis. Cette pratique va perdurer jusqu’à la fin du XIXe siècle, voir même dans certains cas jusqu’au début du XXe siècle.

Au cours du XIXe siècle, une forte mortalité engendrée par une hausse démographique – plus il y a de naissances, plus il y a de décès – et par de nombreuses épidémies provoquera des problèmes d’espace dans les cimetières et forcera les autorités à repenser leur aménagement. En parallèle, les premiers signes de l’individualisation de la mort apparaissent dans les cimetières avec les premières concessions de lots et les grands monuments.

Le manque d’espace dans les cimetières au XIXe siècle oblige des agrandissements horizontal et vertical. En annexant des lots voisins pour le premier et en ajoutant de la terre au cimetière pour le second. Cette seconde option favorisera la surexploitation du cimetière. Les odeurs qui s’en dégageront ainsi que les eaux usées qui s’en échapperont provoqueront une prise de conscience sanitaire et, ensuite, la fermeture (voir le déplacement) de certains cimetières. Les autorités ordonnent que les cimetières soient dorénavant aménagés à l’extérieur des limites de la ville afin d’éviter le côtoiement des morts et des vivants. À l’extérieur des limites de la ville, l’espace disponible est vaste, les monuments peuvent être plus imposants et les sépultures deviennent individuelles.

Cette époque décrite comme celle des cimetières jardin, s’étalant de la moitié du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle, se caractérise par des aménagements paysagers et des allées. Les monuments plus imposants, s’élevant vers le paradis, sont fabriqués en matériaux durables et présentent des formes variées ainsi que des textes de plus en plus élaborés sur le défunt et sa famille, mettant l’accent sur le statut social. On voit apparaître les caveaux familiaux et les mausolées. Avec cette individualisation de la mort, on se retrouve complètement à l’opposé de ce qu’était le cimetière anonyme du début de la colonie, le champ des morts. Des sommes importantes sont investies pour le souvenir de l’être cher. Et qui dit sommes importantes, dit commercialisation des cimetières.

Au cours du XXe siècle, cette commercialisation s’impose et est favorisée par le désintéressement des gens envers l’Église, les cimetières catholiques et le lieu de sépulture de leurs ancêtres. Les monuments redeviennent moins imposants. Leur particularité repose maintenant non pas sur leur hauteur, mais sur leurs formes, couleurs, symboles et images. Au chapitre de la pierre tombale, les possibilités sont maintenant pratiquement infinies. Également, l’arrivée de la crémation a obligé les cimetières à s’adapter. Des secteurs pour les urnes et des columbariums côtoient maintenant les pierres tombales « conventionnelles ». Dans ce même mouvement, des parcs commémoratifs se développent au  Québec. Tournés vers la beauté du lieu et de la nature, ces parcs accueillent des columbariums ainsi que des plaques au sol. Le cimetière n’a jamais été aussi discret.

Les cimetières de Saint-Augustin-de-Desmaures
Les premiers cimetières de la paroisse de Saint-Augustin étaient aménagés sur le bord du fleuve. D’abord sur la terre d’Ambroise Tinon Desroches (aujourd’hui la terre de la famille Racette) où une chapelle en bois servait au culte entre 1694 et 1713. Ensuite, à l’Anse-à-Maheu lorsque la vie religieuse s’y est déplacée (chapelle, église et presbytère) entre 1713 et 1816. Nous ne possédons pas de description de ces cimetières, mais les informations historiques nous portent à croire qu’il s’agirait de cimetières paroissiaux comme d’autres de la même époque en Nouvelle-France : cimetières entourés d’une clôture de bois, abritant des croix de bois anonymes. À noter qu’il y a eu trois religieux et un laïc inhumés sous l’église de l’Anse-à-Maheu entre 1748 et 1809.

 

Aquarelle de Cockburn (vers 1830) montrant les ruines de l'église de l'Anse-à-Maheu, au pied de la côte Gagnon, fermée au culte en 1816. La clôture ceinturant l'église rappelle la présence d'un cimetière.
Photo : Originale au Royal Ontario Museum
Figure 1: Aquarelle de Cockburn (vers 1830) montrant les ruines de l’église de l’Anse-à-Maheu, au pied de la côte Gagnon, fermée au culte en 1816. La clôture ceinturant l’église rappelle la présence d’un cimetière.

 

À la suite des problèmes reliés à la localisation de l’église à proximité du fleuve et le développement de la paroisse dans les terres, une nouvelle église est ouverte au culte en 1816 sur le rang 2, aujourd’hui la route 138. Cette église, toujours utilisée aujourd’hui, et son cimetière (voir figure 2) sont les témoins des pratiques d’inhumations courantes depuis le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui.

 

Cimetière ceinturant l'église actuelle.

Photo : SHSAD
Figure 2 : Cimetière ceinturant l’église actuelle

Non seulement y a-t-il eu plusieurs inhumations « ad sanctos » (sept religieux entre 1856 et 1914 et 95 laïcs entre 1820 et 1874 – voir figure 3), mais le cimetière en pourtour de l’église présente une grande variété, allant des monuments modestes aux grands monuments typiques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, en passant par un secteur pour les cendres déposées dans une urne. Par contre, cet aspect actuel du cimetière n’est pas celui des premières années, alors qu’il y avait autrefois un secteur pour les enfants, des secteurs de fosses communes et un secteur pour les enfants non baptisés notamment. Un fait intéressant à noter est que plusieurs ossements provenant du cimetière de l’Anse-à-Maheu et rapportés par les paroissiens en 1857 se retrouvent aujourd’hui dans ce cimetière (voir figure 4).

 

 

 

Photo : SHSAD
Figure 3: Mémorial à l’intérieur de l’église,
dévoilé en novembre 2012
Mémorial à l'intérieur de l'église, dévoilé en novembre 2012.

 

Mémorial dévoilé en novembre 2012.
Photo : SHSAD
Figure 4: Mémorial dévoilé en novembre 2012. Il y est écrit:
“« Saint-Augustin-de-Desmaures se souvient. À la mémoire des habitants de la seigneurie de Demaure décédés entre la fondation de la paroisse sur le bord du fleuve Saint-Laurent, dans les années 1690, et l’ouverture en 1816 du cimetière actuel. Le cimetière de l’Anse-à-Maheu a été définitivement fermé à la suite de la translation des ossements, le 27 juillet 1857, dans une fosse commune située sous cet emplacement. »

En 1966, alors que ce cimetière se remplit et qu’il n’y a plus de possibilité de l’agrandir, un autre secteur est ouvert un peu en retrait de l’église (voir figure 5). Ce cimetière présente une grande uniformité avec ses pierres tombales semblables en hauteur et en forme, mais présentant une certaine variété de couleur et d’image. Il s’agit d’un exemple parfait de cimetière catholique placé en retrait de l’église moderne, où peu de grands monuments se démarquent.

 

Au chapitre des retraits de l’église, il existe un dernier cimetière sur le territoire appartenant à une entreprise privée. Le cimetière Jardins Québec a été inauguré en 1973 (voir figure 6). Il s’agit d’un parc commémoratif privé situé sur la route 138, à environ deux kilomètres à l’ouest de l’église actuelle. Ce cimetière offre des services personnalisés de type « clé en main » avec une chapelle d’accueil, des columbariums vitrés, un crématorium, des niches sous et hors terre. L’accent est mis sur la beauté du paysage et non sur le cimetière dont on voit à peine quelques fleurs et des columbariums discrets.

 

Cimetière au sud de l'église, ouvert en 1966.

   Photo : Caroline Arpin
    Figure 5: Cimetière au sud de l’église, ouvert en 1966

 

Cimetière Jardins Québec, à l'ouest de la Ville, inauguré en 1973.
Photo : Caroline Arpin
Figure 6: Cimetière Jardins Québec, à l’ouest de la Ville, inauguré en 1973

NDLRVoir aussi un texte de Bertrand Juneau, « Saint-Augustin-de-Desmaures se souvient… Dévoilement de deux mémoriaux rappelant un patrimoine qui remonte au 17e siècle » dans Mémoires vives, n° 35, décembre 2012

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