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Le tourisme de mémoire au Québec

Le tourisme de mémoire au Québec

Par Jean-Yves Bronze

Pour beaucoup de gens, cimetière et tourisme, sont des mots et des réalités incompatibles. De la même façon, l’association « mémoire et tourisme » paraît antinomique. Et pourtant, nous assistons depuis quelques décennies à une tendance lourde, celle de visiteurs enthousiasmes qui fréquentent et arpentent les cimetières à la recherche de célébrités. D’autres, plus réservés, exercent tout simplement un devoir de mémoire envers leurs proches ou ceux qui sont morts à la guerre. Enfin, certaines personnes férues d’art et de patrimoine recherchent la sérénité et la beauté de ces lieux de mémoire.

Par ailleurs, les commémorations et les anniversaires d’événements bien médiatisés suscitent l’engouement de visiteurs nationaux et internationaux assurant ainsi la croissance du tourisme de mémoire. Qu’on pense au magistral succès populaire en terme touristique du 50e anniversaire du débarquement de Normandie en 1994 et celui qu’on prévoit l’an prochain pour le centième anniversaire de la Grande Guerre 1914-1918, non seulement en France mais chez tous les belligérants.

Le tourisme de mémoire
À l’origine le tourisme de mémoire s’est développé au Moyen Âge par le culte que l’on vouait aux saints et à leurs reliques. C’est le début des pèlerinages sanctificateurs à Jérusalem, à Saint-Jacques de Compostelle et en de nombreux autres lieux. Au XIXe siècle, Chateaubriand fut le précurseur de ce qui allait devenir une mode pour l’élite bien pensante européenne, le tourisme mortuaire : les tombes des pharaons en Égypte, les catacombes de Rome et de Naples, l’effroyable catacombe des capucins à Palerme, etc. En parallèle au développement de l’archéologie du XIXe siècle, le courant orientaliste donna un souffle nouveau au tourisme mémoriel. La fin de la Première Guerre mondiale démocratisa en quelque sorte le tourisme de mémoire, en donnant accès à des centaines de milliers de vétérans, tous belligérants confondus, aux premiers cimetières de guerre implantés partout sur les anciens champs de batailles, sur tous les continents.

Les morts n’ayant pu bénéficier d’une sépulture (marins, aviateurs, soldats non identifiés) ont eu droit à des mémoriaux sur lesquels sont inscrits leurs noms ; ceux-ci deviendront vite des lieux de mémoire tout autant fréquentés que les cimetières : Vimy, Beaumont-Hamel, Thiepval, la Porte de Menin à Ypres, etc.

Les États, répondant à la pression populaire, instituèrent à partir de 1920, les premières tombes de soldats inconnus. D’abord à Paris sous l’arc de Triomphe et à Londres dans l’abbaye de Westminster. D’un conflit à un autre, l’idée se répand. De sorte qu’on en retrouve aujourd’hui sur tous les continents : Alger, Buenos Aires, Canberra, Madrid, Moscou, Rome, Tokyo, Wellington (NZ). Les Américains ont même quatre tombes de soldats inconnus au cimetière national d’Arlington : Première et Seconde Guerres mondiales, Guerre de Corée et Guerre du Viêtnam. Plus près de nous à Ottawa, la Tombe d’un soldat canadien inconnu fut inaugurée le 28 mai 2000. Ces tombes de soldats inconnus représentent, pour chacun des États, un hommage à la mémoire de tous les morts de guerre par la patrie reconnaissante.

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale avec les anciens combattants traumatisés par l’hécatombe et davantage depuis une quarantaine d’années, le tourisme de mémoire connaît un succès croissant partout dans le monde et particulièrement en Europe. Ce tourisme consiste à se rendre sur un lieu où l’histoire a laissé des empreintes. Cimetières et champs de bataille qui attiraient autrefois les vétérans, accueillent désormais les touristes soucieux de comprendre ou de transmettre l’histoire et le souvenir à leurs enfants. Le tourisme de mémoire représente le moyen par excellence d’apprivoiser l’histoire, de s’approprier un patrimoine, de se souvenir et de s’instruire.

Le tourisme de mémoire s’exerce à l’égard de toutes les périodes, de l’Antiquité au Moyen Âge, de la Renaissance aux événements contemporains (Ground Zero à New York). Musées, centres d’interprétation et cimetières se partagent chaque année des millions de visiteurs. Le magazine Le Point révélait qu’en 2010 pour la seule France, 6.2 millions de personnes ont visité 185 sites selon une étude commandée par le ministère de la Défense1. Pour la même année, une enquête réalisée par Atout France, une agence de développement touristique, indiquait que dix-sept des principaux sites historiques payants ont totalisé quatre millions d’entrées dans le nord de la France, de la Normandie à l’Alsace, là où sont concentrées les principales batailles des deux conflits mondiaux2.

D’autre part, les lieux de souffrance et leurs musées captivent des millions de visiteurs avides de comprendre. Pensons aux camps d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, de Sobibor et de Treblinka en Pologne ; aux camps de concentration de Mauthausen en Autriche, de Buchenwald et Ravensbrück (camp des femmes) en Allemagne ; au massacre du ravin de Babi Yar perpétré par les Einsatzgruppen en Ukraine, à la prison sudiste d’Andersonville en Georgie, etc. Dans le même esprit, on visite la prison de Nelson Mandela en Afrique du Sud, l’île de Gorée (important centre pour la traite négrière) au Senégal, la Tour de Londres (lieu d’exécution), la prison d’Alcatraz à San Francisco, etc. À Montréal, le Centre commémoratif de l’Holocauste s’insère dans cette mouvance. On le voit, le tourisme de mémoire permet aussi de découvrir les heures les plus sombres de l’histoire de l’humanité.

Les cimetières, lieux de tourisme
La forme la plus pratiquée et la moins dispendieuse du tourisme de mémoire consiste à visiter les cimetières, qu’ils soient civils ou militaires, et les mémoriaux érigés en hommage aux morts de guerre.

L’Europe est parsemée de cimetières de guerre, de toutes nationalités. Ce déploiement de cimetières est parfois fort étonnant3.

En ce qui concerne les Canadiens, vous serez époustouflés d’apprendre qu’on retrouve des soldats canadiens inhumés en France dans 861 cimetières pour les Première et Seconde Guerres mondiales. Bien que la majorité soit regroupée dans des cimetières de la Commonwealth War Graves Commission, beaucoup de Canadiens sont inhumés individuellement ou par petits groupes, ici et là, dans de forts nombreux cimetières communaux à l’intérieur de carrés militaires français. Au Royaume-Uni, les Canadiens sont inhumés dans 524 cimetières alors qu’en Belgique, ils sont dans 196 cimetières et qu’aux Pays-Bas, on les retrouve enterrés dans 192 cimetières4.

Aux États-Unis, le Cimetière national d’Arlington et le Mémorial de la guerre du Viêtnam à Washington sont visités par des centaines de milliers de personnes annuellement. À Ottawa, la Tombe du soldat canadien inconnu, lieu des cérémonies commémoratives de l’armistice du 11 novembre 1918, est devenue, depuis son inauguration en 2000, un haut lieu de mémoire dédié au souvenir.

 Cimetière de l’Hôpital-Général de Québec – Mémorial de la guerre de Sept Ans.

Cimetière de l’Hôpital-Général de Québec
Mémorial de la guerre de Sept Ans
Crédit : Jean-Yves Bronze
Cimetière de l’Hôpital-Général de Québec – Mausolée de Montcalm.  

Cimetière de l’Hôpital-Général de Québec
Mausolée de Montcalm
Crédit : Jean-Yves Bronze

Plus près de chez nous au Québec, dans une moindre mesure, le petit cimetière de l’Hôpital-Général de Québec avec son mémorial de la guerre de Sept Ans et le mausolée de Montcalm, reçoit son lot de visiteurs intéressés par l’histoire et la commémoration envers le millier de défenseurs de la Nouvelle-France qui y reposent.

En ce qui concerne les cimetières civils, le souvenir des proches disparus et des ancêtres demeure la raison principale des visites de proximité. Lieux propices au repos et au recueillement, les cimetières attirent aussi les gens par l’esthétisme et l’architecture des lieux. Les amateurs d’art découvrent des sculptures, des monuments et des ornements dignes des grands musées. En fait, les cimetières sont des musées à ciel ouvert ; de plus, ils sont gratuits.

À Montréal, le Cimetière Notre-Dame-des-Neiges, fondé en 1854, est le plus grand cimetière au Canada. Lieu de mémoire exceptionnel, ce cimetière renferme dans ses entrailles près d’un million d’individus, toutes classes sociales confondues. Notre-Dame-des-Neiges est à Montréal ce que le Père-Lachaise est à Paris. Une partie de ceux qui ont fait l’histoire du pays dorment sous nos pieds.
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Le Guide des cimetières du Québec

 

Guide des cimetières du Québec.

Crédit photo : La Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal

Dans la perspective de l’éveil au tourisme de mémoire de proximité, la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal a édité, en 2012, le Guide des cimetières du Québec. Il s’agit d’un ouvrage de référence unique chez nous, une première dans ce domaine. À l’instigation de M. Yoland Tremblay, directeur général de la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal, le projet a été habilement mené au cours des deux années précédentes par l’architecte Mario Brodeur, directeur du projet.

À l’exception des cimetières privés appartenant à des communautés religieuses, tous les autres cimetières du Québec, peu importe leurs confessionnalités, s’y retrouvent classés par régions administratives. Intercalées entre les régions et regroupées sous huit thématiques, une vingtaine de notices didactiques, témoignant ainsi de la richesse de nos cimetières, ont été rédigées par autant de spécialistes dans le domaine patrimonial et historique. Ces thématiques et les sujets abordés dans ces notices sont les suivants :

Comprendre l’aménagement des cimetières

  • Ollivier Hubert : La régie des cimetières
  • Pierrette Maurais : Les cimetières ad sanctos au Québec
  • Mario Brodeur : Cimetières paroissiaux, cimetières ruraux…
  • Bernard Genest : L’espace social du cimetière
  • Jean-Yves Bronze : Les cimetières et la guerre

Interpréter les monuments

  • Michel Lessard : Les matériaux de l’immortalité / Un langage d’éternité
  • Thérèse Labbé : La statuaire funéraire
  • Jacques Lachapelle : Les ouvrages funéraires : marquer, élever, abriter, contenir
  • Raymond Lemieux : Là où repose la mémoire

Voir les ouvrages de dévotion

  • Jean Simard : Croix, calvaires et chemins de croix

 
Apprécier les mausolées

  • Mathieu Pomerleau : Une sépulture de prestige : le mausolée familial

Déchiffrer Montréal

  • Louise Pothier : Le premier cimetière catholique de Montréal
  • Mario Brodeur : Le plus grand cimetière

Saisir les différentes communautés

  • Yves Chrétien : Les cimetières amérindiens
  • Marie-Claude Rocher : Francophones protestants : quels cimetières ?
  • Denise Caron : Les cimetières anglo-protestants en zone rurale
  • Simon Jacobs : Les cimetières juifs

Traduire la géographie

  • Lorraine Guay : Les cimetières du Saint-Laurent

 

Valoriser les cimetières

  • Jacques Des Rochers : Cimetières en représentation
  • René Bouchard : Des cimetières protégés

Caractéristiques du guide
Le livre présente un contenu détaillé de 1 800 cimetières dont plus de 400 sont illustrés et classés par régions administratives. Des adresses géo-référencées se pliant aux exigences modernes de la technologie du GPS et des cartes facilitent les futures visites. Cet ouvrage éducatif aborde les cimetières sous divers angles : histoire, ethnologie, géographie, art et symbolique, croyance religieuse, etc. Une intéressante bibliographie à la fin du livre permet au lecteur d’approfondir le sujet, s’il le désire.  

Pour en simplifier l’usage, des pictogrammes introduisent le lecteur vers les éléments les plus significatifs de nos cimetières. Plus de 600 sont ainsi identifiés par la beauté de leur aménagement paysager, leur patrimoine historique, leurs monuments architecturaux, le spectacle qu’offre leur panorama, etc.

Voilà un livre raffiné de 335 pages en couleur, imprimé sur du papier couché avec une couverture veloutée. Commode, il est muni d’un signet attaché en soie rouge. À l’instar des guides Michelin, il s’insère dans le coffre à gants d’une auto grâce à son format pratique de 5 po X 10½ po
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Tous les cimetières, petits ou grands, ont intérêt à faire connaître au public les personnages qui reposent chez eux. C’est d’abord leur rendre hommage, mais c’est surtout la meilleure manière de promouvoir à la fois leur cimetière et le tourisme de mémoire. Les gens sont avides de voir et de se recueillir sur la tombe des célébrités significatives à leurs yeux. Ainsi, c’est par milliers que les visiteurs affluent chaque année au Père Lachaise à Paris, au Zentralfriedhoff à Vienne et dans les nombreux cimetières de guerre. En Europe surtout, mais aussi aux États-Unis, le tourisme de mémoire est fortement implanté5.

En conclusion, le tourisme de mémoire va s’accroître davantage dans les prochaines années. La facilité de voyager (coûts accessibles), le vieillissement de la population (plus de retraités), la recherche de sens et de nostalgie, la volonté de comprendre l’histoire, sont autant de facteurs positifs en faveur du tourisme de mémoire.

La visite des cimetières s’inscrit dans une démarche d’appropriation de son histoire familiale d’abord, chaque cimetière constituant un territoire de mémoire. Nous avons besoin de nous recueillir, de nous rassembler et d’évoquer le souvenir de nos chers disparus dans ces lieux de mémoire collectifs. Nous savons tous qu’un jour ce sera notre tour.

Le Guide des cimetières du Québec est un ouvrage de référence inédit d’une très grande qualité qui s’avère un objet de loisir des plus intéressants. Voilà un livre indispensable à conserver dans son auto lorsqu’on voyage au Québec. Les adeptes du tourisme de mémoire seront comblés par l’accompagnement que représente ce guide.

On notera que ce livre n’est pas vendu en librairie. On peut se le procurer en personne ou par téléphone au Cimetière Notre-Dame-des-Neiges et à la boutique de la Basilique Notre-Dame de Montréal.
 
Cimetière Notre-Dame-des-Neiges
4601, chemin de la Côte-des-Neiges
Montréal, (Québec)
H3V 1E7
Tél.: 514 735-1361      

 

Basilique Notre-Dame de Montréal
110, rue Notre-Dame Ouest
Montréal, (Québec)
H2Y 1T2

Ce livre exceptionnel est à la portée de tous par son prix : 25. $ (taxe incluse)
Pour faciliter vos transactions, il est possible de payer par carte de crédit (Visa ou Mastercard) lors d’une commande téléphonique. Des frais de manutention et de livraison s’appliquent.

Pour toutes autres informations, il faut s’adresser à madame Dominique Tremblay : dtremblay@cimetierenddn.org
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Le tourisme de mémoire permet de mieux comprendre le passé ; il participe à la formation de la conscience des citoyens. Par ailleurs, parce qu’il occasionne des flux touristiques, il participe, à sa manière, à la vitalité économique et culturelle des localités.

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NOTES

(1) Magazine Le Point (France), 27 mai 2011.
(2) Par exemple, le Mémorial de la Grande Guerre à Péronne, le Mémorial de Caen.
(3) Par exemple, on trouve deux cimetières de guerre chinois en France datant de la Première Guerre mondiale dont celui de Noyelles-sur-Mer dans l’estuaire de la Somme. À la fin de 1917, il y avait 54 000 soldats-travailleurs chinois en France et 96 000 à l’armistice du 11 novembre 1918. À Neuve-Chapelle située à 20 km au sud-ouest de Lille, un mémorial commémore la mémoire de 4 700 soldats indiens de l’Inde tués au cours de la Grande Guerre non loin de là… Respectant leur tradition, la Commonwealth War Graves Commission les a incinérés. Par ailleurs, aussi étonnant que cela puisse être, il y a cinq cimetières militaires russes en France datant principalement de la Grande Guerre. Quelque 50 000 soldats du Corps expéditionnaire russe ont combattu en France, notamment en Champagne. Encore plus surprenant, le Portugal, bien qu’officiellement neutre en 1914, dépêcha à la demande de Londres, un corps expéditionnaire de 56 500 hommes. Quelque 1 831 soldats portugais reposent à Richebourg (Pas-de-Calais) en France.
(4) Source : Jean-Yves Bronze, conférence intitulée Les morts de guerre du Canada,  (2005).
(5) Voir le site de la compagnie britannique Holts Battlefield and History Tour

 

© Jean-Yves Bronze 2013

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