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B. Visite au Canada du général Charles de Gaulle, président de la République française, président de la Communauté, et de Madame Charles de Gaulle, du 18 au 22 avril 1960.

Le voyage de de Gaulle au Canada en avril 1960
et les relations France-Québec

 

B.    Visite au Canada du général Charles de Gaulle, président de la République française, président de la Communauté, et de Madame Charles de Gaulle, du 18 au 22 avril 1960. ix

1.    Le voyage aux Amériques du 18 avril au 4 mai 1960

La visite au Canada du président de la République française et président de la Communauté s’inscrit dans un voyage officiel de quinze jours aux Amériques, qui le conduira également aux États-Unis ainsi qu’en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. Dans chaque ville, il prononcera des discours publics toujours marquants auxquels il porte le plus grand soin.

Du 18 au 22 avril, il s’arrête dans quatre villes canadiennes (Ottawa, Québec, Montréal et Toronto).
Par la suite, il sillonne les États-Unis, de l’est à l’ouest et au sud. Le 22 avril, il est accueilli à Washington par le général Eisenhower, président des États-Unis; le 23, il donne une conférence de presse au National Press Club de Washington et participe à la réception offerte par M. Nixon, vice-président des États-Unis, à l’hôtel Mayflower; le 24, il s’entretient avec le général Eisenhower à Gettysburg; le 25,  le Congrès des États-Unis lui offre une réception au Capitole et en retour il offre une réception à l’ambassade de France à laquelle assiste le général Eisenhower; le 26, à la Maison-Blanche, de Gaulle et Eisenhower ont un dernier entretien, puis se succèdent à New York la réception d’accueil par le maire et les audiences accordées par le président de la République française à M. Rockefeller, gouverneur de l’État de New York, et à M. Hammarskjöld, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies; le 27, il est reçu par le maire de San Francisco et se rend, entre autres, visiter une usine d’équipements électroniques Hewlett Packard à Palo Alto; les 28 et 29, il est accueilli par le maire de La Nouvelle-Orléans; le 30, comme tout au long de son voyage, il est reçu avec les grands honneurs à Cayenne en Guyane; le 1er mai, à Fort-de-France, en Martinique; le 2, à Basse-Terre, en Martinique également; et le 3 mai, à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. x

La durée de ce long voyage, soit quinze jours, dont huit jours aux États-Unis seulement, l’importance des entretiens avec les chefs d’État et de gouvernement, la portée des discours prononcés et l’accueil populaire soulignent encore plus, si cela était nécessaire, le caractère volontaire de la décision que de Gaulle a prise de consacrer une journée presque complète à Québec le 20 avril et six heures à Montréal le 21 avril, avant même d’avoir des entretiens au plus haut niveau aux États-Unis. De plus, à son retour en France à la fin du voyage aux Amériques le 4 mai 1960, devaient avoir lieu à l’Élysée d’autres entretiens cruciaux avec M. Khrouchtchev, le chancelier Adenauer, le général Eisenhower et M. Macmillan. Nous étions alors en pleine Guerre froide. De Gaulle prend néanmoins la peine à Québec le 20 avril de livrer de grands discours à l’hôtel de ville de Québec, à l’Université Laval et au banquet d’État. C’est dire qu’il tenait à ces arrêts au Canada français, selon l’expression qu’il préférait utiliser.

2.    Les préparatifs et le programme

C’est dans un tel contexte de politique intérieure et extérieure que s’inscrit le voyage du président de la République française. Au moment de sa prise de pouvoir le 1er juin 1958, le premier ministre Diefenbaker lui envoie un message de félicitation et l’invite à effectuer un voyage officiel au Canada. Le général de Gaulle lui répond avec une vive sympathie. Diefenbaker le rencontre également à Paris en novembre 1958 durant une tournée diplomatique. De Gaulle accueillera le chef du gouvernement canadien avec une grande courtoisie et échangera avec lui sur les questions internationales. Un an et demi plus tard, il se rendra au Canada.

Pour le voyage, « l’essentiel des idées est venu de de Gaulle lui-même. Il accordait déjà une attention manifeste au développement de la coopération dans tous les domaines avec les pays étrangers » xi. Le secrétariat d’État aux Affaires extérieures du Canada tiendra, par souci d’équilibre, à une escale à Toronto.

Passons maintenant aux notes de préparation du voyage. Dans une longue note de dix pages à son ministre, l’ambassadeur de France à Ottawa Francis Lacoste explique le 12 décembre 1959 les « Problèmes actuels de la Province de    Québec » :
« (…) Le parti de l'”Union nationale”, créé il y a plus d’un quart de siècle par l’ancien Premier Ministre (ndlr, Maurice Duplessis), conserve son prestige auprès des électeurs et remporte toutes les élections complémentaires. Les traditionnels sujets de discorde entre Québec et Ottawa – partage des impôts, subventions aux établissements d’enseignement – n’ont point disparu et opposent toujours fédéralistes (ndlr, partisans de l’autonomie provinciale selon l’ambassadeur) et centralisateurs (ndlr, partisans de la concentration des pouvoirs à Ottawa). (…) Pourtant, derrière cette apparente immobilité, le Québec est en pleine évolution et, sous l’impulsion adroite et discrète, mais originale et vigoureuse, de son nouveau chef (Paul Sauvé), abandonne peu à peu les voies qu’il avait invariablement suivies pendant toute la durée du régime de M. Duplessis.

« (…) Les rapports devraient, a priori, être plus faciles avec lui (Paul Sauvé) qu’avec son prédécesseur (M. Duplessis).
« Sans doute vaudra-t-il la peine de les cultiver, surtout si les milieux économiques et financiers de notre Pays montrent une disponibilité plus grande que par le passé à s’intéresser à cette Province de sang français et de langue française, où tant d’éléments positifs s’offrent à notre action.
Industriellement, elle offre des perspectives largement supérieures à celles de l’Ontario.

« Et sur les autres plans, en dépit de préjugés et de préventions tenaces, elle est susceptible, elle aussi, d’une “ouverture” généreuse vers la France – à condition que celle-ci le veuille, et veuille, pour sa part, s’y prêter. » xii

Peu de temps après, l’ambassadeur Lacoste informe le Quai d’Orsay du décès inattendu de Paul Sauvé le 2 janvier 1960 et de la nomination d’Antonio Barrette au poste de premier ministre. Les préparatifs du voyage sont néanmoins maintenus.

Le 7 janvier, dans un télégramme, l’ambassadeur précise clairement
qu’ « (…) il convient, pour des raisons de politique intérieure auxquelles le gouvernement fédéral attache beaucoup d’importance, que le président de la République et de la Communauté ne se borne pas à visiter, après la capitale fédérale, les deux principales villes du Canada français, en faisant complète abstraction du Canada “anglais”. À cet égard, Ottawa (ville d’ailleurs peuplée pour plus d’un tiers de Canadiens français) ne peut guère être considérée comme “ontarienne” que d’un point de vue strictement administratif. Son caractère fédéral éclipse sa situation géographique à l’intérieur des limites de la province de Toronto (sic). Une visite à la capitale fédérale ne constitue pas, pour les milieux intéressés, une visite au Canada “britannique”, et l’on verrait ici de très sérieux inconvénients à ce que celui-ci parut, en la circonstance, négligé.

« Il semble que nous devions sur ce point partager le sentiment du gouvernement fédéral et considérer que ce qui serait, à son point de vue, regrettable, le serait également du nôtre. » xiii

Cette question de la place réservée à Québec et à Montréal retient l’attention également du secrétariat d’État aux Affaires extérieures du Canada. Dans une note du 11 février 1960 au service du protocole sur le programme, Henry F. Davis (European Division) se demande à quel endroit le général de Gaulle pourrait prononcer un discours politique significatif à Ottawa, puisque le parlement fédéral ne siège pas.xiv  Il termine sa note en soulignant la signification politique du voyage du chef de l’État français et tout le temps qu’il va consacrer au Québec.

« 5. (…) there are obvious political reasons why we should make a special effort to play up the importance and political significance of this visit to Canada of the Head of the French State.

« 6. Some of these reasons are domestic as well as international. I think we should recognize that the General will be spending almost as long in the Province of Quebec as he will in Ottawa and we should make sure that the enthusiasm which he is likely to inspire there does not overshadow the efforts made in the national capital to give special importance and significance to his visit. » xv

Comme nous le verrons par la suite dans le programme (voir extraits du programme), de Gaulle saisira l’occasion partout où il prendra la parole, dans chacune des villes (Ottawa, Québec, Montréal et Toronto) et devant des auditoires variés, pour prononcer des discours signifiants.

Par ailleurs, le voyage du président de la République française se déroulera au Québec dans un esprit d’ouverture envers celui qui représente une France qui se redresse. C’est pourquoi une annonce, laissée trop longtemps dans l’ignorance jusqu’ici, du premier ministre du Québec, Antonio Barrette, au consul général de France à Québec, Georges Denizeau, et transmise à son ambassadeur à Ottawa ne saurait être passée sous silence.

En effet, l’ambassadeur Francis Lacoste fait état, le 2 mars 1960, d’une décision capitale pour les relations France-Québec :

« Le nouveau premier ministre du Québec a récemment marqué son intention de reprendre un projet dont M. Duplessis avait lancé l’idée, mais auquel il n’avait pas donné de suite positive – l’ouverture d’agences de la Province de Québec à Paris et à Londres. (…)

« Mais il est difficile au Gouvernement fédéral de s’opposer à ces manifestations du particularisme provincial, et vigoureux dans ce Pays.

« M. Barrette s’attend néanmoins à des difficultés, et il est possible, en effet, qu’il en éprouve davantage aujourd’hui, pour une création nouvelle, que son prédécesseur n’en aurait rencontrées il y a quelques années. Il se déclare pourtant décidé. (…) » xvi

Même si nous n’avons retrouvé aucune autre indication dans les notes d’information du Quai d’Orsay, les comptes rendus ou les livres consacrés à de Gaulle et le Québec, il apparaît totalement invraisemblable qu’une telle information n’ait pas été portée à la connaissance du Général.

Venons-en maintenant au programme (voir extraits du programme) lui-même.xvii  Comme me l’ont assuré à la fois M. Pierre Maillard et M. Bernard Dorin xviii, c’est le Général qui donnait des instructions nettes et précises pour sa confection et c’est lui qui en approuvait la version finale. Ce n’est donc pas un hasard si le programme comprend quatre parties correspondant aux quatre villes visitées.

Le président de la République est accompagné d’une suite officielle de haut niveau, parmi laquelle le ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville; l’ambassadeur de France au Canada, Francis Lacoste; le secrétaire général de la présidence de la République, Geoffroy Chodron de Courcel; le chef de l’État-Major particulier du président, général de corps d’armée Guy de Grout de Beaufort; le chef du Protocole, Ludovic Chancel; le conseiller technique au secrétariat général de l’Élysée, Pierre Maillard (qui sera ambassadeur de France au Canada de 1979 à 1981).

Le lundi 18 avril, à Ottawa, de Gaulle est accueilli à sa descente d’avion par le gouverneur général Georges Vanier et le premier ministre John Diefenbaker et prend part en soirée au dîner d’État offert par le gouverneur général.

Le mardi 19 avril, se succèdent entretiens avec le premier ministre, entrevue avec les membres du cabinet, visite au Parlement en présence des présidents du Sénat et de la Chambre des communes, arrêt au Monument aux Morts, déjeuner offert par le premier ministre, dîner offert par le président de la République.

Le mercredi 20 avril, à Québec, accueil par le lieutenant-gouverneur Onésime Gagnon et le premier ministre Antonio Barrette, arrêt au Monument aux Morts, déjeuner offert par le lieutenant-gouverneur, Université Laval, Hôtel de ville, colonie française, dîner offert par le premier ministre.

Le jeudi 21 avril 1960, à Montréal, accueil par le maire Sarto Fournier, arrêt à l’hôtel de ville, colonie française, arrêt au Cénotaphe, déjeuner offert par le maire.

Le même jour, à Toronto, accueil par le lieutenant-gouverneur J. Keiller Mackay et par le premier ministre de l’Ontario Leslie Frost, colonie française, dîner offert par le lieutenant-gouverneur.

Le vendredi 22 avril, Monument aux Morts, Hôtel de ville et départ pour Washington, à 10h00. Fin du programme.

Il n’est donc pas étonnant qu’une suite aussi convenue de rencontres officielles et protocolaires, outre les entretiens à Ottawa, porte Charles de Gaulle à poser un diagnostic sec dans ses Mémoires d’espoir publiés en 1970 : « Étant, là aussi (à Québec), reçu par le Gouvernement fédéral, mon passage est organisé en vue de contacts avec les notabilités, de cérémonies militaires et de visites de hauts-lieux historiques, sans qu’il y ait place pour aucune manifestation populaire. »xix

En 1960, le programme d’un chef d’État ou de gouvernement ou de tout autre ministre d’un gouvernement étranger était élaboré, fixé et mis en œuvre par le secrétariat d’État aux Affaires extérieures du Canada, en liaison avec les autorités du pays d’envoi. En un mot, c’est Ottawa qui était le seul et unique responsable. Les gouvernements des provinces et les autorités municipales étaient avisés du passage du dignitaire étranger et devaient se conformer aux indications du programme, sous la houlette des services fédéraux canadiens (ministre fédéral d’accompagnement, dans le cas du Québec c’était Paul Comtois, ministre des Mines et des relevés techniques; diplomates des Affaires extérieures; gendarmerie royale du Canada). La marge de manœuvre du président de la République française était inexistante. Par exemple, rien n’était prévu pour des « bains de foule ». Certes, quand il a pu le faire, il est allé au contact des citoyens dans les villes où il a effectué des arrêts et chaque fois l’accueil fut enthousiaste.xx  Mais le programme ne s’y prêtait pas. Heureusement, Charles de Gaulle prit la parole avec des mots qui donnent un sens à l’essor des relations franco-québécoises durant les années 1960.

3.    Les discours et les entretiens

Dès son arrivée à Ottawa, le lundi 18 avril, de Gaulle sur le tarmac de l’aéroport déclare : « (…) il m’a paru essentiel que je vienne ici prendre contact avec le Gouvernement et le peuple du cher, et fort, et vigoureux Canada. Cela après avoir été en Angleterre, et à la veille de me rendre aux États-Unis. Il y a là une sorte de chaîne qui s’établit entre les peuples libres, et tout le monde comprend à quel point leur solidarité est aujourd’hui capitale. » xxi

Le lendemain 19 avril, lors du déjeuner offert par le premier ministre Diefenbaker, il rappelle dès le début de son discours que « La première voix que j’y entends (au Canada), c’est celle de l’Histoire. Toujours, la France se fera honneur d’avoir apporté sur votre sol, il y a plus de quatre siècles, tout à la fois les germes du progrès civilisateur et le souffle de la spiritualité chrétienne. Si, par la suite, d’autres actions et d’autres influences se sont exercées ici, s’il y eut des rivalités, des batailles et des séparations, ce que la France sema au Canada a, cependant, poussé dru, même si d’autres moissons y ont également mûri. Bref, comme on voit les plantes des eaux s’élever jusqu’à la surface, je sens monter du fond du passé toutes sortes de liens, d’attraits et de ressemblances, qui rendent l’esprit et le cœur de mon Pays très proches de ceux du vôtre. »xxii  Il n’oublie jamais que l’héritage de la France est toujours bien vivant dans ce qui « a poussé dru ».

À Québec, le 20 avril, après avoir écouté le recteur de l’Université Laval, Mgr Alphonse-Marie Parent,xxiii parler des liens avec la langue, la culture et la science françaises, et un élève du petit séminaire, Pierre Vallée,xxiv faire référence à la résistance et à l’autodétermination, de Gaulle prononce un grand discours sur la pensée française, dont la portée et la profondeur s’avèrent encore actuelles.

« (…) De toutes les raisons, que je puis avoir d’être ému à me trouver ici (à l’Université Laval), l’une des principales, c’est celle de constater que, quoi qu’il soit arrivé dans l’histoire, la flamme, l’esprit, l’âme de la France, dont parlait tout à l’heure Mgr Parent, ont vécu, ont brûlé ici et continuent de le faire. Il est essentiel que la pensée française, non seulement subsiste, mais qu’elle s’épanouisse dans le monde, où que ce soit. ( … ) Mais, pour que la vie française persiste et pour qu’elle se développe, il ne suffit pas que chacun de son côté cherche à l’enfermer dans les murs; il faut, qu’entre tous les établissements, tous les foyers de cette pensée qui existent sur la terre, s’établissent et se maintiennent des rapports étroits.

« Je vous félicite et je vous remercie d’entretenir pour votre part ces rapports-là, en particulier, avec le foyer principal, celui qui brûle en France.

« Toutes les fois qu’entre la France et vous, ou réciproquement, s’établit un échange d’idées, un échange d’hommes, un échange de valeurs, un service est rendu à ce à quoi il faut le rendre, c’est-à-dire à la pérennité de ce que nous sommes. Je sais que cela est fait ici. ( … ) » xxv

Étonnamment, aucun observateur ou commentateur, aucun journaliste ou représentant politique n’exprime publiquement, à ce moment-là, le fait tout simple, mais absolument remarquable, que l’Université Laval constitue, pour le président de la République française, le seul établissement d’enseignement supérieur de tout son séjour au Canada dans lequel il rencontrera les autorités et les étudiants et où il livrera un message visant le développement des échanges universitaires entre le Québec et la France. Les accords de coopération que son gouvernement,  dans les années 1960, mettra au point et en œuvre avec les nouveaux pays francophones d’Afrique, avec la République fédérale d’Allemagne et aussi avec le Québec montrent que les mots de son discours n’étaient pas vains, même si de Gaulle privilégiait la pensée française.

Reçu à l’hôtel de ville par le maire de Québec Wilfrid Hamel, le général de Gaulle souligne, encore une fois, l’importance de ce que la France a accompli depuis des siècles : « (…) Vous avez, monsieur le maire, évoqué très justement le souvenir de Champlain. C’était un grand Français : il voulait faire quelque chose et il l’a fait. Sans doute, les vicissitudes de l’histoire ont-elles agi dans un sens qu’il ne prévoyait pas. Ce qu’il a fait n’en est pas moins magnifique et aujourd’hui plus que jamais nous sommes en mesure de l’apprécier. Vous avez démontré l’importance du Canada français à notre époque. Cette importance ne fait aucun doute et rien ne pouvait m’en convaincre davantage que cette visite parmi vous. ( … ) » xxvi

Lors du dîner d’État offert par le gouvernement du Québec et en réponse à l’allocution du premier ministre Antonio Barrette, le président de la République française ne se limite pas à un discours de circonstance (il ne l’a d’ailleurs jamais fait), mais prend plutôt la peine de saluer une grande réussite.

« (…) À travers vous, je remercie Québec de tout ce qu’elle m’a apporté pendant mon passage rapide, de réconfort, de raison d’admiration, et, de raisons d’espérance.

« J’ai vu dans votre grande ville, et j’ai imaginé dans la province qui l’entoure, ce qu’on peut appeler une grande réussite. Une grande réussite économique, sans aucun doute, mais aussi, une grande réussite humaine, une grande réussite au point de vue des rapports entre ceux qui l’habitent.

« Il y a chez vous, cela frappe, une sérénité, un équilibre, une sorte de satisfaction de sa tâche et ce contact avec les autres qui frappe aussitôt celui qui vient parmi vous; c’est une grande réussite française. (…)

« Si vous n’aviez pas réussi ce que vous aviez fait, c’est encore une fois un membre qui aurait été arraché à la chose française. Comme vous avez triomphé et que vous êtes, je le constate, chez vous, eh bien ! au contraire, c’est un fleuron que vous avez ajouté à la couronne de ce qui est notre chose à tous, la chose française.

« En échange de cela, je voudrais vous dire que la France pense à vous. Je crois même pouvoir ajouter qu’elle y pense autant, sinon plus que jamais. (…) Elle se trouve maintenant être un pays qui monte, un pays qui redevient grand de toutes les manières; cela aussi, c’est une sorte de miracle français.

« Je tiens à vous le dire parce que je le crois et parce que je suis sûr qu’en vous le disant, je touche vos esprits et vos cœurs très profondément. Nous pouvons avoir confiance dans l’avenir de ce que nous sommes les uns et les autres, même si l’histoire et la géographie nous ont quelque peu séparés, nous nous retrouvons. (…) » xxvii

Lors d’un passage-éclair de six heures à Montréal (voir photo), le jeudi 21 avril 1960, le général de Gaulle poursuit son éloge de la « chose française » à la fin du banquet offert par la Ville de Montréal.

« (…) Bien des choses sont dues à la France, et si j’avais besoin de trouver une preuve de plus de son œuvre, vous me l’auriez apportée aujourd’hui, à Montréal, dans mon rapide passage, les contacts que j’ai pu avoir avec les personnalités d’ici, (…) et aussi le sentiment qui a été exprimé d’une manière si frappante, si chaleureuse, par le peuple de Montréal. Tout cela, donc, ce sont des preuves du crédit que la France a ici. Je veux dire l’attachement qu’on lui porte. Ces preuves, je les ai recueillies et j’irai les lui porter. Je tiens à vous dire l’impression, en quittant la Province – laissez-moi dire le Canada français – l’impression dominante que j’aurai éprouvée : je disais hier à Québec, je vous le répète aujourd’hui, c’est l’impression d’une réussite.xxviii Vous avez trouvé moyen, non seulement de maîtriser la Nature, qui est rude et dure, du Canada, dans cette région, mais vous avez trouvé le moyen de vous accorder, de travailler au mieux-être matériel et moral de toutes et de tous. Vous avez eu à surmonter, pour le faire, beaucoup de difficultés, dont les principales – je le crois, étaient les vôtres, celles que vous avez au-dedans de vous-mêmes, car les Français d’origine, où qu’ils soient, ce qui est leur principal obstacle quand ils doivent agir, ce sont généralement celles qu’ils se suscitent les uns aux autres.

« Il est merveilleux, Canadiens français, que vous ayez surmonté cela. C’est ce qui vous a permis d’être ce que vous êtes, et ce que vous êtes est très important, pour le Canada bien entendu, pour la France aussi … et j’ajoute pour le Monde, car il est essentiel, vous le sentez tous, qu’il y eût, sur cet immense continent américain, une entité française vivante, une pensée française, qui dure, qui est indispensable pour que tout ne se confonde pas dans une sorte d’uniformité. Il a fallu qu’il y eût votre flamme, vous l’avez entretenue, elle brûle, je vous en félicite. Je vous en remercie aussi pour la France, car elle le sait. Elle vous regarde, croyez-moi, souvent. Elle sait, par exemple, et elle regarde ce qui se passe en ce moment même entre vous et moi et, pour elle, c’est un réconfort essentiel. Elle a besoin de sentir et de savoir que son rayonnement s’étend, qu’elle trouve des échos, des appuis partout et qu’elle en trouve principalement chez ceux qui viennent d’elle-même. Je vous remercie de cela également pour elle. (…) vous pouvez compter sur elle, Canadiens, Canadiens français, vous pouvez compter sur elle dans le débat qui va s’engager. Elle compte sur vous pour penser à elle, pour la suivre et pour l’appuyer, par tous les moyens, directs ou indirects, que les hommes libres ont aujourd’hui de faire connaître ce qu’ils pensent. (…) » xxix

4.    Les autorités politiques, l’accueil populaire et les journaux

Quand on jette un coup d’œil sur l’ensemble du programme à Ottawa, Québec, Montréal et Toronto, il saute aux yeux que les seuls entretiens politiques prévus devaient se tenir à Ottawa avec le gouverneur général Georges Vanier, le premier ministre John Diefenbaker et le secrétaire d’État aux Affaires extérieures Howard Green. Les sujets traités lors de ces rencontres concernent essentiellement les questions ayant une portée internationale, comme l’Algérie, la réforme de l’OTAN, les relations est-ouest. Pourtant, de Gaulle affirme dans les Mémoires d’espoir que « pour contenir la pénétration économique, technique et financière des États-Unis, il voudrait que l’Europe et, notamment la France, concourent le plus possible au développement du Canada et se dit prêt à conclure à cette fin des accords avec Paris et, même, à laisser la province du Québec le faire elle-même pour ce qui la concerne. »xxx Aucun document fédéral canadien ni aucun témoignage de ministre ou haut fonctionnaire canadien ne corrobore cette notation du général de Gaulle dans ses Mémoires d’espoir écrits à la fin des années 60, après le voyage de 1967.

Par ailleurs, ce qui ne fait aucun doute, c’est l’intention du président de la République française de développer des échanges entre la France et le Québec, comme il l’explicite dans le très remarquable discours qu’il livre à l’Université Laval, le 20 avril, et qu’il vaut la peine de citer à nouveau brièvement : «Toutes les fois qu’entre la France et vous, ou réciproquement, s’établit un échange d’idées, un échange d’hommes, un échange de valeurs, un service est rendu à ce à quoi il faut le rendre, c’est-à-dire à la pérennité de ce que nous sommes. Je sais que cela est fait ici. ( … )». xxxi Jamais, ni à Ottawa, ni à Toronto, ni même à Montréal, il n’avait tenu ou ne tiendra de tels propos en public. Il avait réservé cette déclaration de grande portée pour l’Université Laval, un an et demi avant  l’ouverture de la « Maison du Québec » à Paris en octobre 1961. Le développement rapide de tels échanges et des accords ou ententes entre la France et le Québec dès le début des années 1960 ne s’inscrit pas dans le vide, mais s’appuie plutôt sur l’analyse politique et la conception que Charles de Gaulle avait de la « chose française », qui pour lui incluait le Canada français et qui devait poursuivre une œuvre de développement en étroite relation sur les deux rives de l’Atlantique.

En ce qui concerne ses passages à Québec et Montréal, force est de constater qu’aucun entretien formel n’était inscrit au programme. Les seules allusions à des échanges de vues avec des personnalités concernent le premier ministre Antonio Barrette et le chef du parti libéral Jean Lesage. 

Dans ses mémoires publiés en 1966, Antonio Barrette observe :
« J’eus l’honneur de l’accompagner toute une journée (Charles de Gaulle). À quelques occasions, il me posa des questions qui me permirent de lui parler de la division des pouvoirs et, partant, de la juridiction des provinces en matière d’éducation et concernant leurs ressources naturelles. Se peut-il que cette conversation ait augmenté l’intérêt qu’il nous portait ? J’aime à le croire. J’invitai, au banquet d’État qui lui fut offert ainsi qu’à madame de Gaulle, tous les principaux représentants de la vie politique, parlementaire et judiciaire de la province de Québec, des membres éminents du clergé et quelques personnages. Les ministres du Gouvernement provincial, le chef de l’opposition parlementaire, les sénateurs, députés, conseillers législatifs et juges de la région de Québec étaient invités. »xxxii 

L’accompagnement dont fait état le premier ministre Barrette ne remplace pas un entretien en bonne et due forme avec des sujets identifiés à traiter et en présence de preneurs de notes pour la suite des choses.

En ce qui concerne Jean Lesage, Dale C. Thomson observe : « En passant, le Général eut l’occasion de rencontrer brièvement Jean Lesage, le nouveau chef du parti libéral, qui s’était engagé à opérer une transformation en profondeur du gouvernement et de la société québécoise s’il gagnait les élections imminentes. »xxxiii Cette information est confirmée par Pierre Maillard qui la tenait « par une confidence du secrétaire général de l’Élysée, alors Geoffroy de Courcel, et elle n’a fait l’objet d’aucune communication ni d’une insertion dans les comptes rendus du voyage. » xxxiv  Chose certaine, cette entrevue (un aparté plutôt) fut en tout cas très brève selon Pierre Maillard.

Il n’a pas été possible, malgré des recherches intensives, de retracer d’autres entrevues ou entretiens dans les archives à Ottawa, à Québec, à Montréal ou à Paris. Tous les observateurs s’accordent néanmoins à souligner le caractère très chaleureux des manifestations officielles auxquelles le général de Gaulle a participé.

La question de l’accueil populaire retient cependant l’attention dans le compte rendu signé par l’ambassadeur de France Francis Lacoste le 30 avril 1960 et envoyé au Quai d’Orsay à Paris :

« Entre le triomphe de Londres et les triomphes successifs de Washington, New York, San Francisco et la Nouvelle-Orléans, la récente visite du général de Gaulle au Canada laissera vraisemblablement dans son souvenir, et dans le souvenir de tous ceux qui l’ont accompagné, l’impression d’un contraste étrange et décevant.

« Après la pompe royale, le faste parlementaire, l’enthousiasme spontané de la foule anglaise, l’émouvante évocation de l’époque héroïque de la guerre qui attendait le Général dans la capitale britannique, la déconcertante simplicité et l’apparente froideur de l’accueil canadien ne pouvaient que surprendre et désappointer. (…)

« Cependant, le Gouvernement national du Canada, les Gouvernements provinciaux du Québec et de l’Ontario, les éditorialistes de la presse écrite et parlée, et le public canadien en général, avaient bien compris, avant même que ne déferlât l’énorme houle de l’ “enthousiasme américain”, ce que sont la stature nationale et internationale du Général, quelle force il apporte au bloc occidental, et quels espoirs cette force autorise pour l’avenir du monde.
« Les textes des discours officiels, des articles de presse, dont j’envoie d’autre part un choix au Département, attestent la plénitude et la sincérité de cette compréhension. Et de même les commentaires privés que j’ai recueillis de toutes parts dans les milieux du Gouvernement, du Parlement, de la presse, des affaires, à l’issue du séjour du Président au Canada.

« C’est, en vérité, dans cette perspective que doit être envisagée la réaction du Canada au récent voyage du Président. Qu’il ait fait froid dans la ville de Champlain, qu’il ait plu par moments à Montréal et à Toronto, qu’un côté “petit bourgeois” se soit révélé dans l’accueil provincial du Québec, qu’un aspect parfois raide et gauche soit apparu dans celui de l’Ontario, que les troupes aient été absentes le long des rues – il n’y en a pour ainsi dire pas auprès des villes – que le pavoisement ait été presque inexistant, sauf sur quelques immeubles officiels (jamais aucune ville canadienne n’a pavoisé pour personne) – tout cela est vrai : mais rien de tout cela ne peut être interprété comme marque de mauvais vouloir ni comme absence d’intérêt.

« Le Canada, les Canadiens sont ainsi.

« Ce qui doit demeurer dans notre appréciation, parce que c’est ce qui demeurera dans l’esprit des dirigeants, aussi bien que du grand public de ce Pays, c’est que la visite du général de Gaulle a produit une impression plus profonde que ne l’a jamais fait le passage d’aucune autre personnalité – chef d’état ou grand chef de guerre – et qu’elle est destinée à laisser ici un souvenir unique. » xxxv

Il est évident que la comparaison entre l’accueil populaire au Canada et celui des États-Unis montre clairement que ce dernier avait été soigneusement préparé par les services diplomatiques français et américains. De plus, comme de Gaulle laissait lui-même deviner dans ses Mémoires d’espoir, rien n’avait été prévu pour aucune manifestation populaire.xxxvi Pour autant, l’accueil à Québec et à Montréal chaque fois que la population a eu la possibilité de se manifester, était chaleureux, comme le démontrent les articles publiés (voir extraits de journaux) dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil, L’Action catholique et L’Événement Journal.xxxvii À ces titres québécois, il faut ajouter le journal Le Monde qui, sous la plume d’André Fontaine, proclame en première page du numéro du 21 avril « Après les entretiens d’Ottawa – le général de Gaulle reçoit un accueil particulièrement chaleureux dans la capitale du Canada français. » xxxviii

Ces très nombreux et très fouillés articles de divers journaux contredisent le témoignage d’Alain Peyrefitte, ministre de de Gaulle et, par la suite, membre de l’Académie française. Au Centre de recherche Lionel-Groulx, il confiera : « Après son voyage un peu décevant au Québec en 1960, l’information qu’il recevait sur la “belle province” l’avait convaincu qu’elle “s’éveillait” ». xxxix

Un autre témoin, Bernard Dorin, membre actif et efficace du lobby québécois du Québec à Paris, partagera cette vision des choses :

« Le général de Gaulle était déjà venu deux fois au Québec. La première fois, c’était dans la foulée de la libération de la France. Il n’était pas alors très populaire au Québec, qui entretenait encore de fort relents pétainistes. La deuxième fois, à l’hiver 1960, il avait aussi été reçu assez froidement. Il avait été accueilli poliment, mais comme un homme politique étranger traditionnel, sans enthousiasme et sans chaleur.

« Mais la particularité de de Gaulle, c’était de voir loin – en même temps de saisir l’instant et de ne pas se laisser distraire par une influence passagère, car il voyait bien au-delà. Il était comme le bon conducteur, qui voit le bout de la route et non pas ce qui se passe dans le fossé, dit Dorin. (…)

« De Gaulle avait donc mis ces deux expériences décevantes de visite au Québec entre parenthèses. Il voyait finalement beaucoup plus loin. “Et à cet égard, dit Dorin, il faut reconnaître que l’histoire lui a donné raison.”

« En avril 1960, de Gaulle a été reçu par le premier ministre Antonio Barrette. À son retour en France, le Général a tenu des propos très sévères sur le Québec.

« Bernard Dorin note d’abord qu’il n’a rien eu à voir avec ce voyage. L’ambassadeur Francis Lacoste l’a totalement pris en main. “Je n’en sais que ce que M. Lacoste m’en a dit par la suite.”

« Effectivement, de Gaulle avait été assez déçu de cette visite. Mais il s’y attendait. “À tort ou à raison, ses conseillers lui avaient dit que le Québec avait été moralement favorable à ce que Pétain avait appelé ‘la révolution nationale’ durant la guerre. Et ce sentiment était encore très vif. On n’était pas encore tout à fait sorti de l’après-guerre. De Gaulle avait eu l’impression que les Québécois n’avaient pas conscience de l’évolution de la France. En plus, de Gaulle avait été critiqué pour ce qui s’était passé à la Libération. Ses interlocuteurs québécois lui avaient fait reproche de l’épuration et des gens qui avaient été condamnés et fusillés pour collaboration. De Gaulle en avait été choqué (Lacoste avait dit ‘renvoyé sur les roses’). Il n’y avait donc pas eu véritablement d’atomes crochus.” » xl

Sans vouloir remettre en cause les précieux témoignages de ces deux défenseurs indéfectibles et promoteurs tenaces des relations France-Québec, il est nécessaire de les placer en perspective. Alain Peyrefitte, 37 ans après les faits, indique que le voyage de 1960 fut un peu décevant. Par rapport au voyage précédent en Angleterre, à celui aux États-Unis, qui a suivi celui du Canada, et à celui de 1967, cela est certain. Mais il y avait eu une prise de contact, sans laquelle les développements ultérieurs des relations France-Québec eussent été difficilement compréhensibles pour beaucoup de Québécois.

Bernard Dorin, pour sa part, 42 ans après le voyage du général de Gaulle, souligne que l’intérêt du Général envers le Québec, dès 1940 et même avant, n’avait pas toujours été réciproque. Ce qui est exact. Cependant, de Gaulle n’a pas été accueilli en 1960 comme un homme politique étranger traditionnel. Les textes des discours de Mgr Parent et du jeune Pierre Vallée à l’Université Laval, de ceux du maire de Québec Wilfrid Hamel, du premier ministre Antonio Barrette et du maire de Montréal Sarto Fournier, loin d’être froids et distants, recelaient au contraire des références à l’histoire de la France et à celle du Québec, au prestige du général de Gaulle et à son rôle déterminant dans l’essor de son pays, aussi bien au plan intérieur que sur la scène internationale. Les journaux du Québec et de la France ont consacré d’admirables pages à ces questions.

C’est à se demander, et cela vaut pour beaucoup d’autres voyages officiels et pas seulement pour celui du général de Gaulle en 1960, si les services diplomatiques accordent toujours l’attention requise à la teneur des discours officiels, surtout quand les messages sont pleins de sens comme ceux de Charles de Gaulle, s’ils saisissent toute la portée d’un voyage auprès de la population et des autorités du pays hôte et s’ils prennent suffisamment en compte la couverture de presse. À cet égard et de façon surprenante, l’ambassadeur Francis Lacoste, dont la compétence et la finesse sont unanimement reconnues et saluées, ne retient  dans son compte rendu du voyage ni Le Devoir de Montréal, ni L’Action catholique ou l‘Événement Journal de Québec. Il reprend certes, pour la presse de langue française, des extraits des éditoriaux des quotidiens Le Soleil, La Presse et Le Droit. D’ailleurs, les extraits cités sont tous très favorables à de Gaulle. Mais il n’y a aucune mention du foisonnement des articles consacrés (voir extraits de journaux) dans tous les journaux, à raison de dizaines d’articles par journal, avec des titres percutants en manchette, en première page et dans les cahiers intérieurs, sans mentionner les abondants reportages photographiques. xli

En tout état de cause, de Gaulle, dans ses Mémoires d’espoir, conserve de son passage à Québec une perception favorable :

« Pourtant, une sorte de bouillonnement de la foule des gens qui se trouvent là, les cris ardents de : “Vive la France !”, “Vive de Gaulle !” qui sont les seuls qui soient poussés, le fait qu’apparaisse partout une profusion d’emblèmes à fleurs de lys du Québec à côté de très rares drapeaux de la Fédération, me révèlent que depuis mes précédents voyages un courant nouveau s’est déclenché. Au reste, le gouverneur du Québec Onésime Gagnon et le premier ministre Antoine (sic) Barrette, tous deux grands érudits de l’histoire de Champlain et des suprêmes batailles de Montcalm et de Lévis, n’en sont nullement contrariés. Lors du dîner officiel, les verres se lèvent : “A la France !” Je dis : “Chacun de vous, j’en suis sûr, pense : ‘Le pays d’où je viens !’ Passe alors dans l’assistance un frémissement qui ne trompe pas.” » xlii

Pierre Maillard dans une lettre à l’auteur du 18 octobre 2012, conclut à juste titre : « Pour finir, la discrétion volontaire de cette visite me paraît largement expliquer que la réaction populaire ait été modeste sans qu’on puisse à mon avis parler d’une tiédeur quelconque. » xliii

Sur ce plan, comme sur celui de la couverture d’ensemble du voyage officiel du président de la République française, les journalistes ont effectué un excellent travail, en décrivant les diverses manifestations et en titrant adéquatement leurs articles par des extraits pertinents des discours et des déclarations prononcés. À comparer avec les journaux actuels en 2013, force est de constater que les journaux de 1960 remplissaient une fonction documentaire très élaborée. Assurément les diverses élites politiques, économiques, culturelles et universitaires ont pris, au cours de cette visite, pleinement conscience de l’essor prodigieux de la France avec l’arrivée du général de Gaulle et du fait qu’il savait que le Québec, ou plutôt le Canada français, existait et qu’il était pour lui une réussite.
 

 

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NOTES

(ix) Titre officiel du voyage. L’auteur utilise dans l’article aussi bien les termes «général», «Charles de Gaulle», «de Gaulle», «général de Gaulle» que «président de la République française».
(x) Ces éléments du programme du président de la République française aux États-Unis, en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe proviennent de l’aide-mémoire chronologique à la fin du livre De Gaulle, Charles. Lettres, notes et carnets, juin 1958-novembre 1970. Paris : Robert Laffont. pp. 1202-1203.
(xi) Entretien téléphonique du conseiller technique au secrétariat général de l’Élysée en 1960, Pierre Maillard, avec l’auteur le 7 août 2012.
(xii) Lacoste, Francis, ambassadeur de France au Canada. « Problèmes actuels de la Province de           Québec ».  No 1691/AM, 12 décembre 1959. Ministère des Affaires étrangères de France. Archives diplomatiques, B – Amérique, 1952-1963, CANADA – 129 -.
(xiii) Lacoste, Francis. No 28-35, 7 janvier 1960. Ministère des Affaires étrangères. Archives diplomatiques, B – Amérique, 1952-1963, CANADA – 83QO/100.
(xiv) Davis, Henry F. European Division, « President de Gaulle’s Visit – Ottawa Programme », 11 février 1960. Bibliothèque et Archives Canada, Visit of President de Gaulle to Canada 1960, 25, vol. 7666, dossier 11562-126-40.
(xv) Davis, Henry F. European Division, « President de Gaulle’s Visit – Ottawa Programme », 11 février 1960. Bibliothèque et Archives Canada, Visit of President de Gaulle to Canada 1960, 25, vol. 7666, dossier 11562-126-40.
(xvi) Lacoste, Francis. « Agences de la Province de Québec à Paris et à Londres ». – No 294/AM, 2 mars 1960. Ministère des Affaires étrangères, Archives diplomatiques, B – Amérique, 1952-1963, CANADA – 83QO/100.
(xvii) « Visite au Canada du général Charles de Gaulle,  président de la République française,  président de la Communauté et de Madame Charles de Gaulle, du 18 au 22 avril 1960 ».  Fonds du ministère de la Justice. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Centre d’archives de Québec. E4, 1960-01-483/566.
(xviii) Conversations de l’auteur avec Pierre Maillard (7 août 2012) et Bernard Dorin (30 juillet 2012).
(xix) De Gaulle, Charles.  Mémoires d’espoir-Le Renouveau 1958-1962. Paris : Plon, 1970. p. 254.
(xx) Voir en annexe  la liste des articles de journaux.
(xxi) De Gaulle, Charles. « Discours prononcé par M. le président de la République française à son arrivée à Ottawa (Uplands) ». Le lundi 18 avril 1960. Ministère des Affaires étrangères de France. Archives diplomatiques, B – Amérique, 1952-1963, CANADA – 83QO/100.
(xxii) De Gaulle, Charles. « Discours du général de Gaulle à Ottawa, le 19 avril 1960 ». Ministère des Affaires étrangères de France. Archives diplomatiques, B – Amérique, 1952-1963, CANADA – 83QO/100. Le souligné est de l’auteur.
(xxiii) « Allocution de Mgr Alphonse-Marie Parent, P.A., recteur de l’Université Laval, supérieur général du séminaire de Québec ». Fonds Antonio Barrette. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Centre d’archives de Québec, P182, S77, DAV2011-002.
(xxiv) « Allocution prononcée par M. Pierre Vallée, élève du petit séminaire de Québec lors du passage du général de Gaulle à l’université Laval – 20 avril 1960. ».  Fonds Antonio Barrette. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Centre d’archives de Québec, P182, S77, DAV2011-002.
(xxv) « Allocution du président de la République française à l’université Laval, Québec – 20 avril 1960. ». Fonds Antonio Barrette. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Centre d’archives de Québec, P182, S77, DAV2011-002.
(xxvi) Lagacé, René. « Splendide et touchante, dit de Gaulle de la réception offerte par la Cité ». Le Soleil (Québec), 21 avril 1960, p.3.
(xxvii) « Discours du président de la République française à l’issue du dîner d’État au Château Frontenac, 20 avril 1960. » Fonds Antonio Barrette. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Centre d’archives de Québec. P182, S77, DAV2011-002.
(xxviii) Concernant la réussite de Montréal dont il fait état, il portera un jugement dévastateur sur la subordination des Canadiens français dans ses Mémoires d’espoir, publiés en 1970 : « Montréal fait la même impression que Québec, accentuée toutefois par le caractère massif et populeux de l’agglomération, par l’angoisse diffuse que répand l’emprise grandissante des anglo-saxons possesseurs et directeurs des usines, des banques, des magasins, des bureaux, par la subordination économique, sociale, linguistique, qui en résulte pour les Français (du Canada), par l’action de l’administration fédérale qui anglicise d’office les immigrants. » p. 254.
(xxix) « Allocution prononcée par le général de Gaulle à la fin du banquet offert par la ville de Montréal à l’hôtel Queen Elizabeth le vendredi 21 avril 1960 ». Fonds Antonio Barrette. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Centre d’archives de Québec, P182, S77, DAV2011-002.
(xxx) De Gaulle, Charles. Mémoires d’espoir – le renouveau, 1958-1962. Paris : Plon, 1970. p. 252.
(xxxi) « Allocution du président de la République française à l’université Laval, Québec – 20 avril 1960. ». Fonds Antonio Barrette. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Centre d’archives de Québec, P182, S77, DAV2011-002.
(xxxii) Barrette, Antonio. Mémoires. Montréal : Beauchemin, 1966. p. 257.
(xxxiii) Thomson, Dale C. De Gaulle et le Québec. Saint-Laurent : éditions du Trécarré, 1990. p. 108.
(xxxiv) Lettre du 18 octobre 2012 de Pierre Maillard à l’auteur. Archives de l’auteur.
(xxxv) Lacoste, Francis, Ambassadeur de France au Canada. « Visite officielle du président de la République au Canada ». Numéro 540/AM, 30 avril 1960. Ministère des Affaires étrangères de France. Archives diplomatiques, B – Amérique, 1952-1963, CANADA.
(xxxvi) De Gaulle, Charles. Mémoires d’espoir – Le Renouveau 1958-1962. Paris : Plon, 1970. p. 254.
(xxxvii) Voir en annexe les listes des articles des journaux québécois cités.
(xxxviii) Voir en annexe la liste des articles du journal Le Monde.
(xxxvix) Centre de recherche Lionel-Groulx. « Dossier de Gaulle et le Québec ». Les Cahiers d’histoire du Québec au XXe siècle. No printemps 1997. Sainte-Foy : Les Publications du Québec, 1997. p. 13.
(xl) Comeau, André, et Fournier, Jean-Pierre. Le Lobby du Québec à Paris, Les précurseurs du général de Gaulle.  Montréal : Québec-Amérique, 2002. pp. 49-50.
(xli) Lacoste, Francis. « Annexe à la dépêche No 540/AM du 30/4/60. Extraits de quelques éditoriaux de la presse canadienne relatifs à la visite au Canada du président de la République. », in « Visite officielle du président de la République au Canada ». Numéro 540/AM, 30 avril 1960. Ministère des Affaires étrangères de France, Archives diplomatiques, B – Amérique, 1952-1963, CANADA.
(xlii) De Gaulle, Charles. Mémoires d’espoir – Le Renouveau 1958-1962. Paris : Plon, 1970. p. 254.
(xliii) Archives de l’auteur.
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