Les Ramezay : une famille noble en Nouvelle-France
Par Joëlle Thérien
M.A. Histoire, Université du Québec à Montréal
Aquarelle présumée de Claude de Ramezay, n° 1998.1024
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Issu de la noblesse française, Claude de Ramezay (1657-1724) est arrivé au Canada en tant que lieutenant des troupes de la Marine en 1685. L’officier s’est très bien adapté à la société coloniale puisqu’il a été en mesure de gravir les échelons militaires et sociaux. Entre 1690 et 1699, il est gouverneur de Trois-Rivières et il épouse, en 1690, Charlotte Denis (1668-1742), une noble canadienne. Le couple et leurs enfants déménagent à Québec en 1699 lorsque Ramezay obtient le poste de commandant des troupes de la Marine. En 1704, il est nommé gouverneur de Montréal, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort. Parallèlement à ses activités militaires, Claude de Ramezay, comme plusieurs nobles canadiens, s’implique dans des activités économiques afin d’acquérir un revenu d’appoint. Notamment, il est propriétaire des seigneuries de Ramezay, Monnoir et Sorel et s’implique dans le commerce du bois avec sa scierie à Chambly.
De la mortalité infantile aux occupations des nobles, l’étude de la famille Ramezay illustre plusieurs réalités de la noblesse canadienne sous le Régime français. En ce sens, l’analyse du parcours des enfants du gouverneur de Montréal nous en apprend beaucoup sur le deuxième ordre.
Survivre jusqu’à l’âge adulte
De son mariage avec Claude de Ramezay, Charlotte Denis a mis au monde seize enfants dont cinq sont décédés avant l’âge d’un an. Malheureusement, ce taux de mortalité élevé ne s’écarte guère de ce que l’on observe chez la classe nobiliaire. Effectivement, la mortalité infantile chez les enfants nobles nés au 17e siècle est de 16,5%. Ce taux s’élève à 33,1% entre 1700 et 1734 et, entre 1735 et 1765, il grimpe à 48%! La famille Ramezay reflète donc fort bien la réalité de plusieurs familles nobles du Régime français d’où l’intérêt d’aborder la brève existence de ces nourrissons.
Deuxième enfant du couple Ramezay-Denis, Catherine est née en 1692. Selon son acte de baptême, elle est décédée dans les heures suivant sa naissance. Le troisième enfant du couple dont le nom est inconnu a été ondoyé en 1693 dans la paroisse de Batiscan. Il a peut-être connu le même sort que sa sœur aînée ou il s’agit d’un enfant mort-né. Deux autres enfants sont décédés avant d’avoir atteint deux mois et tout porte à croire qu’ils sont morts en nourrice. Effectivement, leur décès a été enregistré dans des paroisses où les nourrices sont nombreuses puisque François est décédé en 1702 à Beauport et Françoise-Ursule en 1704 à Charlesbourg. De plus, les intervalles entre les naissances des enfants (intervalles intergénésiques) suggèrent que Charlotte Denis n’a pas allaité ses enfants. Il faut dire qu’avoir recours aux services d’une nourrice était une pratique fréquente chez l’élite canadienne de la fin du 17e siècle jusqu’au lendemain de la Conquête. Cette pratique n’est pas sans conséquence sur la mortalité infantile puisqu’elle favorise les naissances rapprochées qui mettent en péril la santé de la mère et du fœtus. Finalement, le dernier enfant du couple Ramezay-Denis, Marguerite-Louise, est décédée avant d’avoir atteint trois mois en 1711. Puisque son décès est enregistré dans la paroisse où résident ses parents, il n’est pas possible d’affirmer qu’elle a perdu la vie chez sa nourrice.
Un autre enfant du couple Ramezay-Denis a péri avant d’avoir atteint l’âge adulte. Il s’agit de Pierre-Timothée qui est décédé en 1706 à l’Hôtel-Dieu de Québec alors qu’il n’avait que sept ans. Par conséquent, sur les seize enfants du couple, dix atteignent l’âge adulte soit six filles et quatre garçons.
Des religieuses, des femmes mariées et des célibataires
Une carrière dans une communauté religieuse est une source de prestige puisque les fonctions importantes sont réservées à l’élite. Catherine (1696-1725) et Charlotte (1697-1767), les deux filles aînées de Claude de Ramezay sont entrées en religion. La première entre chez les Ursulines de Québec et l’autre chez les Augustines de l’Hôpital-Général de Québec. Elles ont toutes deux intégré des établissements populaires chez l’élite et ce, au début de leur vingtaine. Il est fréquent pour les nobles canadiennes d’effectuer leur profession de foi dans la fleur de l’âge. Cette stratégie leur permet d’acquérir l’ancienneté nécessaire pour être élue à des fonctions prestigieuses. D’ailleurs, Charlotte a eu l’opportunité d’accéder à des charges importantes dont le poste de supérieure qu’elle occupe au moment de la Conquête.
Quant aux filles de Claude de Ramezay qui se sont mariées, elles ont toutes deux épousé des nobles canadiens avec une situation enviable. Ces alliances matrimoniales permettent aux Ramezay de demeurer dans le haut de la hiérarchie sociale. Geneviève de Ramezay (1699-1769) se marie en 1721 avec Louis-Henri Deshamps de Boishébert (1679-1736). Promu capitaine dans les troupes de la Marine en 1728, Boishébert est aide-major de Québec et seigneur de La Bouteillerie au moment de son mariage. Élisabeth (1707-1780) épouse Louis de Chaptes de La Corne (1696-1762) en 1744 alors capitaine dans les troupes de la Marine et nouvellement seigneur de Terrebonne. Ayant épousé des hommes plus âgés qu’elles, les deux sœurs se sont retrouvées veuves comme c’était souvent le cas pour les nobles canadiennes. Après la mort de leur époux, elles se sont montrées fort habiles lorsqu’elles ont pris en main la gestion du patrimoine familial et l’avenir de leurs enfants.
Si les deux filles Ramezay qui ont pris mari semblent avoir plusieurs points en commun, celles qui sont demeurées célibataires ont certainement un tempérament fort différent. Louise (1705-1776) est connue pour avoir mené de front plusieurs activités économiques tandis que sa sœur aînée Angélique (1701-1749) ne semble pas avoir partagé cet intérêt pour les affaires puisqu’elle a laissé peu de traces dans les archives. Pourtant, les soeurs ont toutes deux été initiées à la gestion du patrimoine familial par leur mère dans les années qui suivent le décès de Claude de Ramezay. Or, c’est Louise qui prend en main la gestion des trois seigneuries de la famille de même que la scierie de Chambly dont les profits sont divisés entre les héritiers. Elle mène aussi des activités économiques à titre personnel puisqu’elle possède deux scieries et une tannerie. Qui plus est, elle est l’une des rares femmes à s’être fait concéder deux seigneuries.
Des officiers militaires au service du roi
Quant aux quatre fils de Claude de Ramezay, ils ont tous intégré les troupes de la Marine en tant qu’enseigne avant d’avoir atteint dix-huit ans. Les postes d’officiers sont très recherchés par la noblesse canadienne puisqu’ils permettent aux nobles d’avoir un revenu de base tout en bénéficiant du prestige de servir le roi.
L’aîné, Claude de Ramezay fils (1691-1711), a été envoyé à Rochefort en tant que garde-marine en 1707. Sous le Régime français, cette pratique permet à quelques privilégiés de gravir plus rapidement les échelons militaires. Malheureusement pour les Ramezay, Claude est décédé en 1710 à Rio de Janerio alors qu’il était sous les ordres de Jean-François Duclerc lors d’une expédition qui s’inscrit dans le cadre de la guerre de Sucession d’Espagne. Ce conflit ouvre la voie aux corsaires français pour attaquer les colonies ennemies de la France dont le Brésil alors sous domination portugaise.
Un autre fils de la famille Ramezay perd également la vie au combat. Il s’agit de Louis (1694-1717) qui, en 1712, a été promu lieutenant dans les troupes de la Marine. C’est en cette qualité et grâce à sa maîtrise des langues amérindiennes qu’il participe à une expédition contre les Renards (une nation amérindienne ennemie des Français installée à l’ouest du lac Michigan). Son père est alors gouverneur de la colonie par intérim durant le séjour en France de Vaudreuil. Louis avait pour mission de mobiliser trois nations alliées (les Miamis, les Ouyatanons et les Illinois) en vue d’une expédition d’envergure devant compter près de mille hommes. Or, les Amérindiens étant victimes de la rougeole sont peu enclins à fournir des combattants. Malgré tout, le jeune officier est au point de rendez-vous avec quelques Amérindiens, mais le reste des effectifs n’a jamais quitté Michilimakinak à cause d’un problème de ravitaillement. Louis se retire donc à la mission jésuite de Kaskaskia située au sud du lac Michigan pour passer l’hiver avec d’autres Français. Par la suite, plusieurs rumeurs circulent concernant la disparition de Louis et de ses hommes. C’est le récit d’un jésuite qui donne l’heure juste sur les circonstances entourant la mort du jeune officier. Ce dernier et ses hommes auraient été attaqués par un parti de Cherokees alors qu’ils étaient en route vers le fort Détroit. Le jésuite ne précise pas la date de cette escarmouche qui a probablement eu lieu au printemps 1716.
Tout comme ses frères ainés Charles-Hector (1695-1725) était destiné à mener une brillante carrière militaire. Entre 1711 et 1714, il effectue un séjour en France lors duquel il est présenté au ministre de la Marine et où il a la chance d’acquérir une formation militaire en tant que cadet chez les mousquetaires. En 1719, il s’embarque de nouveau pour la France. Cette fois-ci, il accompagne son père qui l’initie possiblement à ses activités économiques. Tout porte à croire que Charles-Hector était destiné à faire fructifier le patrimoine familial. Malheureusement, il périt dans un naufrage un an après la mort de son père dans un navire qui devait le mener en France pour lui permettre de recruter des travailleurs et de l’équipement.
Contrairement à ses frères aînés, Jean-Baptiste-Nicolas-Roch (1708-1777) a eu la chance de vivre suffisamment longtemps pour mener une carrière forte en rebondissement. Effectivement, le cadet est principalement connu pour avoir signé la capitulation de la ville de Québec le 17 septembre 1759 lors de la guerre de Conquête. Par la suite, il est contraint de s’exiler en France et il ne reviendra jamais dans la colonie. Auparavant, il avait participé à plusieurs expéditions militaires dont la campagne d’Acadie en 1746 de laquelle il ressort victorieux. De son mariage avec Louise Godefroy de Tonnancour, un seul de leurs enfants, une fille, atteint l’âge adulte ce qui met fin au patronyme « Ramezay ».
L’étude de cette famille noble a révélé qu’il est intéressant d’analyser les parcours des enfants d’un couple puisque les destins des frères et des sœurs sont liés les uns aux autres. D’une part, lorsque l’un de ses fils obtient une promotion au sein des troupes de la Marine, Claude de Ramezay sollicite immédiatement le poste laissé vacant pour son cadet. Par exemple, lorsque Claude fils quitte la colonie pour Rochefort, c’est Louis qui reprend son poste d’enseigne. Cette stratégie révèle que les parents ont à cœur de favoriser l’avenir de l’ensemble des fils. Quant aux filles, Ramezay a certainement payé une dot élevée pour envoyer Catherine et Charlotte dans des communautés prestigieuses. Le fait qu’elles fréquentent des établissements différents n’est pas anodin puisque cette stratégie permet à des sœurs d’occuper des charges importantes sans se concurrencer. Or, l’aînée, Catherine, meurt avant d’avoir eu la chance d’accéder à de telles charges. Les deux filles qui se sont mariées ont, elles aussi, une position enviable puisqu’elles ont contracté des alliances fort intéressantes en épousant des officiers militaires issus de la noblesse canadienne. Quant à Louise et Angélique, leur statut de célibataire a permis d’éviter un morcellement du patrimoine familial. D’ailleurs, durant le Régime français, un tiers des femmes nobles demeurent célibataires. Finalement, il ne faudrait pas passer sous silence qu’après la mort de Claude de Ramezay, sa veuve confie progressivement la gestion du patrimoine familial à Louise. Son frère Roch étant trop accaparé par ses charges militaires et ses autres frères étant décédés, la cadette de la famille est l’une des rares femmes de cette époque à avoir profité d’une telle opportunité!