Le souvenir de la Résistance française et d’une Québécoise, Marthe Simard : une maison de Québec qui rappelle la mémoire du 60e anniversaire de la fondation d’un « Comité France-libre », le premier à l’extérieur de la France, et le dévouement et la bravoure de la première parlementaire française
Le soir même du célèbre appel du 18 juin 1940 par le Général de Gaulle, une maison de la rue d’Auteuil à Québec a été témoin de la fondation du premier comité pour la France libre, situé hors de France, par madame Marthe Simard-Reid. C’est pourquoi une demande a été adressée à la ville de Québec afin qu’une plaque commémorative soit apposée sur cette maison.
En appui à cette demande, la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC) est heureuse de faire connaître cette fascinante histoire par un article de madame Françoise Tétu de Labsade, Élue à l’Assemblée des Français de l’étranger (voir en fin de texte la note tirée du site Web de l’Assemblée des Français de l’étranger http://www.assemblee-afe.fr/ ).
Une implication reconnue par le Général de Gaulle
Marthe Simard est la première parlementaire française venant de Québec, il y a 60 ans. Son attachement profond à la France et la mise à son service de ses énergies lui ont valu ces mots du Général de Gaulle :
À Madame Simard, Française d’élite qui va représenter ici tant de bonnes, braves, fidèles Françaises, leurs souffrances et leurs espérances.
Respectueusement.
Charles de Gaulle
Intelligente et déterminée, cultivée et pétillante, ainsi apparaissait Marthe Simard, dans les années 1960. De petite taille mais d’une personnalité affirmée, fascinante à maints égards. Vivant à Québec depuis les années 30, elle était restée profondément attachée à sa patrie d’origine, la France. Aussi lui parut-il naturel de jouer un rôle conséquent au moment de la Seconde Guerre mondiale, rôle qui la mena à un poste politique exceptionnel : elle fut l’un « des cinq représentants des organisations de résistance de l’étranger à l’Assemblée nationale consultative, créée par le Général de Gaulle »1. Elle fut aussi « la première femme à être nommée membre de l’Assemblée nationale consultative et restera la seule femme parmi les 83 membres de l’Assemblée tout au long de sa première année d’existence2».
Les premières années en France et le départ pour Québec
Marthe Simard, circa 1940.
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Née en 1901 en Algérie à Bordj-Menaïel où son arrière-grand-père était venu s’installer, Marthe Caillaud, fille du juriste Édouard Caillaud et d’Emma Paoli, de Corte en Corse, connaît une enfance et une adolescence sans histoires. Elle se marie en juillet 1920 avec Socrate Bastenti; une petite fille, Yahne, naît à Tunis. Devenue veuve très vite, Marthe retrouve ses parents à Douai où son père avait été nommé juge d’instruction; il y deviendra président du Tribunal. Elle rencontre à Berck-Plage Dr Simard, un Canadien-Français de Québec, comme on disait alors, venu se spécialiser dans le traitement de la tuberculose osseuse. Ce dernier, rappelé à Québec au chevet de son père à l’agonie, revient à Paris pour épouser en juin 1932 la belle et jeune veuve. Avec Yahne, ils prennent l’avion pour Londres, puis le bateau, le Duchess of York, pour Québec où ils arrivent le 8 juillet 1932.
Un parcours qui se démarque
Reçue dans la bonne société de Québec, la jeune femme est vite remarquée pour son dynamisme exceptionnel, son ouverture aux autres et à la culture de son pays d’accueil, sa vivacité d’esprit, son sens de l’humour, toutes qualités qui passaient alors pour plutôt rares chez les représentantes du « beau sexe ». On se souvient d’elle comme d’une femme éblouissante, ayant le goût de l’aventure. En juillet 1939, n’entraîne-t-elle pas son mari à partir en voiture pour Winnipeg en passant par Chicago et les Grands Lacs! Des milliers de kilomètres par des routes non asphaltées. Dès le début de la guerre, elle envoie vivres et médicaments dans une France rapidement exsangue. En 1940, l’armistice signé par la France est diversement accueilli au Canada. Les élites religieuses du pays et la bourgeoisie sont plutôt pétainistes. Courageusement, Marthe Simard décide d’agir. Le père Georges-Henri Lévesque3 raconte, dans son livre Souvenances, que le 18 juin au soir un petit groupe d’amis s’était réuni chez les Simard et que, à la suite du discours du Général de Gaulle, Madame Simard, « femme exceptionnelle et dynamique », souligne-t-il, avait suggéré de façon spontanée la fondation d’un « Comité France-libre »4. Ce fut le premier comité de la Résistance fondé à l’extérieur de la France.
Passionnée et volontaire, Marthe allait au bout de ce qu’elle entreprenait. La voici s’adressant aux Canadiens via la radio, retransmise par Londres, pour appuyer l’action de la France libre. La voilà encore circulant de Vancouver (Colombie-britannique) à Halifax (Nouvelle-Écosse), en passant par Gravelbourg (Saskatchewan) et mainte autre ville francophone, pour expliquer la Résistance, qui paraissait souvent ambiguë aux Canadiens. (Rappelons qu’il y a plus de 5500 kilomètres d’un océan à l’autre et qu’à cette époque, le train était à peu près le seul moyen de communication dans cet immense pays.)
Le retour outre-Atlantique. En marche vers l’Assemblée nationale
Québec devient le point de ralliement des Français libres que le destin envoie de ce côté-ci de l’océan. Le chirurgien André Simard et sa femme logent, nourrissent et soignent maint transfuge, aussi bien que des personnalités comme l’amiral Thierry d’Argenlieu, Élisabeth de Miribel, Jacques de Lacretelle, Georges Duhamel, Alain Savary de passage à Québec5. Leur maison est devenue « le Quartier général du mouvement gaulliste en Amérique du Nord »6. Ce n’était pas évident dans leur milieu social (elle a même dû être protégée par la Gendarmerie Royale du Canada). Mais Marthe et son mari avaient une conviction profonde qu’ils ont su faire partager à certaines autorités, à commencer par le père Lévesque, Mgr Roy, le cardinal Villeneuve, etc. Si bien que lorsqu’en 1943, le général de Gaulle cherche un représentant de la France Libre en Amérique du Nord, c’est elle qu’il invite à venir le rejoindre en Algérie. Marthe Simard part donc de Québec, traverse à nouveau les États-Unis où elle avait étendu son action, prend un navire de guerre canadien, passe par la Caraïbe (Guadeloupe, Martinique), séjourne en Haïti – où elle reçoit une statue d’un certain Duvalier (respectivement frère et oncle des deux autres) – traverse l’Atlantique, qui est alors un champ de bataille meurtrier, avant de débarquer à Alger.
Elle y retrouve une partie de la famille de son père comme elle retrouvera plus tard en France, de façon inattendue, un jeune cousin de sa mère, Alain Rougeot, qui, lui, avait fait partie du Mouvement de libération nationale au Puy-en-Velay. Elle est l’une des cinq personnes représentant le mouvement de résistance à l’étranger à l’Assemblée nationale consultative, créée par le Général de Gaulle. Elle est aussi la première et la seule femme, parmi les 83 membres, à siéger à cette Assemblée du parlement français en exil. Il est clair que sa présence a joué un rôle-clé dans la décision du Général de Gaulle en 1944, d’instituer l’égalité politique des hommes et des femmes (loi du 5 octobre 1944).
Marthe Simard accompagnée de femmes soldats et
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L’Assemblée regagne Paris à la Libération en 1944, augmente le nombre de ses membres. Marthe Simard est alors l’une des dix femmes parmi les 248 membres; elle est la première femme parlementaire à s’adresser à l’Assemblée nationale, le 15 juin, appuyant le projet de loi visant à donner le droit de vote aux femmes et demandant que l’on renforce le Consulat général de France à Québec, en particulier dans le domaine culturel.
En 1944, le père de Marthe Simard était mort à Douai pendant le bombardement des Alliés. L’occupant allemand avait réquisitionné sa maison, mais lui avait laissé le troisième étage et sa vieille servante, une Juive qu’il avait su soustraire aux rafles.
Le Québec, une patrie qu’on n’oublie pas
Marthe Simard revient à Québec pour retrouver son mari, complice et intensément coopératif, que la France honora de la Légion d’Honneur; elle avait sacrifié une vie confortable, intéressante et tranquille à la certitude que sa patrie d’origine méritait mieux que le statut de pays occupé. Devenue veuve à nouveau, Marthe Simard épousera en 1957 le Dr Léo Reid, participera tous les ans aux Cours d’été de l’Université Laval à l’intention des étudiants états-uniens et canadiens anglophones. Nous avons pu admirer dans les années 1960-1970 sa grande culture, son esprit brillant, parfois caustique, son sens de la communication. Restée épanouie et lumineuse jusque dans son grand âge, elle s’est éteinte en 1993.
La France lui a remis les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur, la Médaille de la Résistance et la Médaille des Services volontaires.
Françoise Tétu de Labsade
Élue à l’Assemblée des Français de l’étranger
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Joëlle Garriaud-Meylam, Lettre du 23 mai 2004
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Joëlle Garriaud-Meylam, Revue politique et parlementaire, Paris, 2004
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Dominicain, le célèbre fondateur de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval
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Cité par son arrière-petit-fils, Éric Audet, Le Devoir, mercredi 27 juin 1990
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Auguste Viatte , dans D’un monde à l’autre, note au hasard des pages de son Journal d’un intellectuel jurassien à Québec, le nombre et le nom des personnes en question. C’est d’ailleurs lui qui remplacera Marthe Simard à la tête du Comité France Libre quand elle partira pour Alger. Presses de l’Université Laval, 2003.
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Alain Rougeot, Fonctionnaire de la Résistance, Saint-Germain-en-Laye, 1997