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Bretagne et Canada français sous la loupe des ethnologues

Bretagne et Canada français sous la loupe des ethnologues

par Jean Simard
Société québécoise d’ethnologie

Des ethnologues de l’Université Sainte-Anne à Pointe-de-l’Église (Nouvelle-Écosse), de l’Université de Bretagne occidentale à Brest (France), de l’Université de Moncton (Nouveau-Brunswick) et de la Société québécoise d’ethnologie (Québec) ont organisé à Pointe-de-l’Église du 19 au 21 octobre, et à Brest les 17 et 18 novembre 2011, des Journées internationales d’étude ayant pour thème « L’Apport des prêtres et religieux au patrimoine des minorités. Parcours comparés Bretagne/Canada français ». Le comité scientifique de ces réunions était composé de Jean-Pierre Pichette, Chaire de recherche en oralité des francophonies minoritaires (Cofram) de l’Université Sainte-Anne, Ronald Labelle, Chaire McCain en ethnologie acadienne (Cremea) de l’Université de Moncton, Jean Simard, Société québécoise d’ethnologie (Sqe), Jean-François Simon et Fanch Postic, Centre de recherche bretonne et celtique (Crbc) de l’Université de Bretagne occidentale. Près d’une trentaine d’experts des deux communautés minoritaires ont présenté des communications et ont échangé leurs points de vue.

Deux grandes conclusions se sont dégagées de ces rencontres. Tout d’abord que l’intérêt des prêtres et des religieux pour la collecte ethnographique accuse un net décalage chronologique entre la Bretagne et le Canada français alors même que l’histoire religieuse des deux communautés montre des parallélismes saisissants. Ensuite que les premières collectes ethnographiques n’étaient pas tout à fait neutres. Elles étaient des outils d’apostolat religieux puis de défense et de promotion de l’identité. À ce chapitre, la Bretagne et le Canada français n’accusent guère de différences. Mais à mesure que nous avançons vers le présent, l’esprit scientifique a gagné du terrain de telle sorte que ces religieux ont délaissé peu à peu le militantisme des premiers temps.

Pourquoi les prêtres et les religieux de Bretagne et du Canada français, qui bénéficiaient d’un statut comparable dans leur communauté respective, ne se sont pas intéressés aux mêmes choses aux mêmes moments ? Raisons de conjonctures certainement. L’Église du Québec a dû se reconstruire au XIXe siècle après une longue période de latence qui a suivi le changement d’allégeance coloniale après 1760 et l’échec du projet libéral et démocratique du mouvement patriote des années 1837-1839. Nostalgique de la France monarchique d’Ancien Régime, elle a vu au tournant du XXe siècle l’occasion de renouer avec la vieille mère-patrie en accueillant ses héros catholiques et conservateurs venus lui prêter main forte dans la défense et l’illustration de la langue française. C’est de cette époque que date le concept de « la langue gardienne de la foi » qui réveillera, au Québec et au Canada français, l’intérêt des clercs pour la chose nationale et les collectes ethnographiques.

Abbé Stanislas-Alfred Lortie, vers 1900

Abbé
Stanislas-Alfred
Lortie, vers 1900
Source : wikimédia
Adjutor Rivard

Adjutor Rivard
Source : Wikipédia

En 1902, l’année même où Émile Combes, ministre de l’Intérieur et des Cultes de la IIIe République, ordonne aux prêtres de Basse-Bretagne d’utiliser le français plutôt que le breton au catéchisme et au prône du dimanche, Adjutor Rivard et l’abbé Stanislas Lortie fondent à Québec la Société du parler français au Canada dont l’une des missions est « l’examen des dangers qui menacent le parler français au Canada : influence du milieu, contact habituel et nécessaire avec des  idiomes étrangers, déformation graduelle du langage populaire laissé à lui-même, tendances décadentes de la langue dans la littérature, le commerce et l’industrie modernes, et goût trop prononcé pour quelques formes vieillies ». Cette attitude défensive n’infirme en rien la valeur scientifique de l’oeuvre à laquelle s’est associé un nombreux clergé, comme le démontre la réputation jamais ternie du Glossaire du parler français au Canada que publiait cette Société en 1930. Les efforts de la Société du parler français au Canada sont à mettre en parallèle avec ceux de l’Église bretonne, qui dès le XVIe siècle a voulu créer une langue de culture avec ce qu’elle qualifiait de « misérable patois tout farci de mots français ».

Les générations qui ont pris la relève au milieu du XXe siècle ont généralement opté pour des entreprises libérées de toute intention religieuse ou nationale. Il faut citer à cet égard, pour le Canada français, les travaux d’Anselme Chiasson en Acadie (Îles de la Madeleine et Nouveau-Brunswick) et de Germain Lemieux (nord de l’Ontario), mais aussi et surtout les collectes initiées par Luc Lacourcière et Mgr Félix-Antoine Savard des Archives de folklore de l’Université Laval, auxquelles ont contribué bon nombre de religieux et de religieuses, telles que Marie-Ursule, Catherine Jolicoeur et Denise Rodrigue, qui depuis les années 1960 y ont préparé des thèses.
Au total, si les premières collectes ethnographiques des prêtres et religieux des deux communautés ont été motivées par des intentions apostoliques ou nationalistes, elles n’en demeurent pas moins des collectes. Il appartient désormais aux scientifiques de faire leur métier, c’est-à-dire de critiquer leurs sources et de dégager ce qui doit être justement considéré pour l’étude comparée du patrimoine des minorités de Bretagne, du Canada français et plus particulièrement du Québec.

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