Le voyage de de Gaulle au Canada en avril 1960
et les relations France-Québec
C. Les conséquences du voyage officiel pour les relations France-Québec
1. La chose française et les deux communautés ethniques du Canada
Avec ce voyage, les relations de la France avec le Canada et le Québec vont amorcer une mutation sans nulle autre pareille sur la scène internationale. Depuis son discours du 1er août 1940, le général de Gaulle avait exprimé clairement et publiquement l’attachement qu’il avait pour le Québec et tout ce qu’il représentait pour lui.
Dans les discours qu’il va prononcer en avril 1960, aussi bien à Ottawa qu’à Québec et Montréal, il fait souvent état du Canada français, à distinguer du Canada anglais, de la « chose française », de la langue française, de la réussite française, du fait que le Canada français peut compter sur la France comme elle peut compter sur lui, que la France voit et regarde le Canada français. Bien sûr, plus de 50 ans après, en 2013, certaines expressions nous apparaissent un peu étranges comme celle de « rameau de la vieille souche française », mais il précise, dans les Mémoires d’espoir, que « pour conclure, je déclare au premier ministre (canadien), dont les intentions sont certainement très estimables, que la France serait disposée à se rapprocher beaucoup de son pays. Mais, pour qu’elle le fasse de grand cœur, et, d’ailleurs, pour que l’ensemble canadien ait le ressort et le poids voulus, il faudrait qu’il veuille et sache résoudre le problème posé par ses deux peuples, dont l’un est un peuple français, qui doit, comme tout autre, pouvoir disposer de lui-même. »xliv Tout est dit.
Quel a donc été l’impact de « De Gaulle parmi nous » ? Dans un éditorial d’accueil portant ce titre, Le Soleil du mercredi 20 avril écrit qu’ « Il nous apparaît comme le symbole du relèvement français. En tant que Canadiens français, nous lui en sommes reconnaissants, car chaque fois que brille le prestige de la France, nous en recevons de quelque façon l’éclat. L’idéal de grandeur et de fierté que l’homme de 1940 continue d’assumer pour son pays trouve chez nous un écho dans les cœurs qui se souviennent de leur ancienne mère-patrie. »
À la fin de sa visite, c’est par un « Au revoir, général de Gaulle ! » que le journal La Presse de Montréal salue, en éditorial le 22 avril, le président de la République française et la renaissance de son pays : « L’idéal de grandeur dont il a fait la pierre angulaire de sa politique n’est pas un vain mot. (…) C’est aussi un pays dont l’agriculture et l’industrie sont parmi les plus importantes et les plus diversifiées du monde, un pays dont les savants et les techniciens sont recherchés partout, dont l’outillage national, renouvelé depuis quelques années, est l’un des plus modernes qui soit, dans certains secteurs surtout. » On voit bien que le journal met en relief la modernité de la France incarnée par de Gaulle.
C’est André Laurendeau dans Le Devoir du 22 avril qui saisit le mieux pourtant la signification du séjour de « De Gaulle parmi nous », également le titre de son éditorial.
« Le président de Gaulle a le sens de la solidarité française. Il l’a montré durant son bref séjour dans le Québec : ses thèmes, traités avec simplicité et bonhomie, revenaient toujours à l’intuition de ce qui, par-delà l’océan et les systèmes politiques n’a pas cessé de nous lier. (…) On aura remarqué comme, dans chacune de ses allocutions, il n’en est jamais resté là (au signe visible d’une permanence française); chaque fois c’est notre avenir qu’il saluait autant que notre passé commun. Il n’est pas de ceux qui se contentent d’honorer les morts : il n’est pas au service d’une grandeur déchue. Son instinct le porte à désirer, non des fidélités nostalgiques, mais les restaurations et les nouveaux départs. »
André Laurendeau souligne également dans son éditorial qu’ « Il sait toujours aller droit à l’essentiel. » De Gaulle n’a pas prononcé de paroles en l’air ou des propos de circonstance sans lendemain. Depuis le 1er août 1940, en passant par sa venue en 1944, nous savons qu’il porte le Québec, plutôt le Canada français, dans son cœur et dans sa tête. Voilà pourquoi il a tenu à venir à Québec et à Montréal et à y tenir, comme toujours, des discours mûrement réfléchis.
3. « Il y a un énorme potentiel français au Québec »
Dans ses Mémoires, George Émile Lapalme, alors vice-premier ministre et procureur général du Québec, raconte son escale à Paris à la fin de septembre 1960 en route vers la Grèce et rappelle qu’ « En juin 1960 (sic), peu avant notre arrivée au poteau, le général de Gaulle fut reçu à Québec par le gouvernement agonisant d’Antonio Barrette. Lors du dîner d’État, il eût le temps de percevoir les vibrations que la terre québécoise produisait faiblement mais continûment. C’est à partir de cet instant que les idées se mirent à voyager du côté français. J’arrivai juste à temps pour les cueillir. » xlv
Il poursuit son récit par sa rencontre avec André Malraux, ministre de la Culture de France qui souligne à Lapalme :
« Au niveau et à l’instant où nous sommes, il est inutile de se leurrer avec des mots ou avec des faits qui n’existent pas. Ce serait absolument faux de dire que nous avons toujours pensé à vous, que nous avons toujours reconnu ce que vous avez fait, que nous vous avons toujours suivi des yeux. La vérité c’est que nous vous avons totalement oubliés et que nous ne nous sommes jamais occupés de vous. Aujourd’hui il se trouve qu’un homme de génie, le général de Gaulle, vient d’entrevoir une réalité et un potentiel. Partons de là. Vous êtes isolés en Amérique du Nord à côté de l’une des deux plus grandes puissances du monde. » xlvi
Enfin, Malraux conclut :
– « À son retour de Québec, en juin dernier, le Général m’a dit : “Il y a, me semble-t-il, un énorme potentiel français au Québec. Veuillez vous en occuper.” Or, il y a quelques jours, il est encore revenu sur le sujet et le hasard veut que vous veniez m’en parler ! »
– « Mais alors, dis-je, que faut-il faire ? »
– « Établir la maison du Québec à Paris ! » xlvii
Comme nous l’avons vu précédemment dans une note diplomatique du 2 mars 1960, l’ambassadeur de France au Canada Francis Lacoste avait saisi le ministre des Affaires étrangères Couve de Murville de la décision du premier ministre Antonio Barrette d’ouvrir une agence du Québec à Paris. Le terrain, pour ainsi dire, était déjà préparé.
- (suite)
Conclusion générale
NOTES