Contribution des Mémoires de la
Société généalogique canadienne-française
au 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec
par Gilles Durand
Un cahier complet consacré au 400e anniversaire
La Société généalogique canadienne-française (SGCF) inscrit le 253e cahier de ses Mémoires (vol. 58, no 3), dans la tradition de commémoration qui l’a guidée depuis sa création. Le moment est bien choisi. Le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec par Champlain sera bientôt à nos portes. Un événement deux fois d’envergure : il constitue à la fois les débuts de la capitale nationale et d’une présence française permanente sur le continent nord-américain. Compte tenu de l’importance de l’événement, la SGCF fait appel à ses membres, historiens et généalogistes, et à des collaborateurs externes. La revue est consacrée à faire le point sur l’acquis et sur ce qui reste à découvrir sur Champlain et sur ceux qui ont collaboré à son œuvre. Elle se termine par une compilation de la production historique sur le sujet disponible à la bibliothèque de la Maison de la généalogie.
Il reste encore des questions sans réponse à propos de Champlain
Comme spécialiste du Régime français, ayant consacré toute une carrière à l’étude et à l’analyse des sources de première main sur la Nouvelle-France, Marcel Trudel ouvre le débat. Tout en reconnaissant l’absence occasionnelle de documents originaux, il met en garde contre les mythes et les idées préconçues. Champlain avait-il en vue la fondation d’une colonie agricole ou plutôt d’une colonie commerciale et industrielle, axée sur l’exploitation des pêcheries, des fourrures et des mines; les écrits du fondateur de Québec donnent à penser qu’il avait en vue autre chose que la mise en place d’un établissement agricole et la pratique des activités missionnaires. Dans le cas de la fondation de Trois-Rivières, mériterait-il plus que la portion congrue, lui qui en a donné le mandat à celui qui est considéré comme le fondateur, Laviolette, un officier dont on n’a jamais connu le prénom, et qui lui a fourni les ressources pour ce faire. Dans le cas de la ville de Québec, Champlain n’occuperait-il pas une place trop grande en regard de celui qui en fut le supérieur, qui procéda lui-même à Paris à l’engagement de ses compagnons et qui lui fournit les ressources matérielles et financières, Pierre Dugua de Mons. N’a-t-on pas attribué trop rapidement à son épouse, Hélène Boulé, un rôle, celui d’évangéliser et d’instruire les Amérindiens, sans se questionner sur le fait qu’elle n’habita que quatre ans en Nouvelle-France, de 1620 à 1624, sur son degré de connaissance de la langue amérindienne et sur le fait qu’une fois de retour en France, elle ne semble pas avoir manifesté d’intérêt pour l’évangélisation et l’instruction des Amérindiens. Champlain est-il mu par des motifs humanitaires lorsqu’il tente – mais en vain, empêché qu’il fut par les Kirke en 1629 – d’emmener en France trois petites Amérindiennes ou veut-il plutôt suivre une coutume de courtisans d’en faire présent au roi. Comment expliquer encore que, dans son testament, Champlain ne laisse rien à Hélène Boulé, ne la mentionnant même pas. Voilà un ensemble de questions auxquelles les historiens n’ont pas encore répondu, sans compter les autres qui se posent, mais auxquelles il n’apparaît pas y avoir de réponse. C’est le cas du lieu d’inhumation de Champlain. L’incendie de l’église paroissiale de Québec en 1640, et des travaux subséquents dans le sous-sol de la basilique amenèrent fort probablement le regroupement de ses ossements avec ceux d’autres personnages dans un coffre de bois. « La boîte est encore visible aujourd’hui, mais comment identifier parmi ces ossements ceux de Champlain », écrit l’historien Marcel Trudel (p. 197).
Un cofondateur remis à l’honneur, Pierre Dugua de Mons
L’historien Marcel Trudel attire l’attention sur le peu de mention que Champlain fait, dans ses écrits et sur ses cartes, du nom de celui qui fut son protecteur et son pourvoyeur, Pierre Dugua de Mons. Bien à tort selon lui. Le jugement qu’il porte trouve écho chez l’historien Gaston Deschênes. À l’été 2007, la Ville de Québec rend un hommage particulier au protecteur de Champlain, Pierre Dugua de Mons. La plaque apposée sur le monument porte la mention « hommage », mais le discours officiel des élus municipaux le présente comme cofondateur. Des commémorations en France vont plus loin, le qualifiant de fondateur. L’historien Deschênes ne refuse pas le titre de cofondateur à de Mons, mais il ne veut rien enlever au rôle de Champlain, au minimum comme cofondateur aussi : « Les investisseurs [tel Pierre Dugua de Mons] se remplacent plus facilement que le talent [celui de Champlain] » écrit-il (p. 200). Le généalogiste Michel Barbeau accepte aussi le rôle de cofondateur attribué à de Mons. Il reconnaît cependant que des facteurs ont pu jouer dans le passé contre de Mons : le protestantisme auquel il adhérait et le fait qu’il n’ait pas laissé d’écrits sur ses réalisations.
Les deux côtés de la« peinture d’histoire »
L’arrivée de Champlain à Québec,
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Historienne de l’art, Hélène Lamarche traite de la nécessité de questionner un type de sources particulier, la peinture d’histoire. L’arrivée prochaine du 400e anniversaire se prête bien au choix d’un tableau abondamment utilisé, du moins appelé à le devenir, celui d’Henri Beau préparé à l’origine vers 1902, présentant l’arrivée de Champlain. Répondant à une commande du gouvernement du Québec, l’artiste peint une œuvre donnant à penser que l’arrivée de Champlain en 1608 constitue un événement donnant le coup d’envoi d’un mouvement colonisateur : un navire, accosté au port de Québec, sur lequel nous pouvons voir Champlain, des membres d’équipage, des missionnaires, une femme tenant un enfant dans ses bras, etc. Mais comment expliquer que le navire de Champlain, le Don-de-Dieu, ne dépasse pas dans les faits Tadoussac, que le trajet se fasse en barques sur le reste du parcours et que le fondateur ne semble accompagné à son départ de Honfleur que d’engagés, sans femmes, ni enfants. Beau voulait-il peindre plutôt l’arrivée de Champlain en 1633. Comme l’écrit l’auteure, « L’histoire, tout comme la généalogie, se nourrit de faits, mais cela n’empêche pas de rêver un peu… » (p. 259).
Les sources originales permettent de faire des découvertes
Par bonheur, les sources d’époque ne manquent pas. Elles ont été utilisées et ont stimulé une production historique remarquable, il faut le reconnaître. Par contre, tous leurs secrets n’ont pas été épuisés. Pour permettre un meilleur cadrage des travaux futurs, Marcel Fournier dresse d’abord la chronologie des voyages et des traversées de Champlain. Il se consacre par la suite, avec la collaboration du généalogiste Jean-Paul Macouin, à localiser, avec relativement de précision pour l’époque, les lieux de résidence de Champlain dans le vieux Paris : pour ce, il analyse soigneusement les contrats du Minutier central des notaires de Paris auxquels Champlain est partie. Exploitant toujours cette même source, Jean-Paul Macouin retrace, de son côté, pour le plus grand bénéfice des lecteurs de la revue, les contrats de 18 des 27 compagnons de Champlain qui ont fait la traversée avec lui – les engagements ont tous été faits par Pierre Dugua de Mons –. Ni Champlain, ni Pierre Dugua de Mons – qui n’est jamais venu à Québec de toute façon –, ni aucun des premiers hivernants n’ayant laissé de descendants, la généalogiste Denise Gravel prend, quant à elle, la responsabilité de faire le lien avec l’enracinement des Français en Amérique du Nord. Elle nous présente une liste des familles pionnières, débutant en 1617 avec Louis Hébert et Marie Rollet pour se terminer en 1636. Le lecteur y trouvera une information de base qui tient compte des recherches les plus récentes en généalogie.
Le présent numéro constitue un apport significatif à la mémoire du 400e anniversaire de la fondation de Québec. C’est un ouvrage à garder à portée de la main pour les célébrations et les festivités qui s’annoncent.