Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française
par Laurier Turgeon, directeur
Martin Fournier, coordonnateur
Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française
martin.fournier@celat.ulaval.ca
Les lecteurs de Mémoires vives ont eu l’occasion de prendre connaissance du projet d’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française dans les numéros précédents. Comme l’Encyclopédie poursuit sans cesse son développement et que les 50 premiers articles seront accessibles sur Internet à compter du printemps 2008, il est opportun de fournir quelques précisions supplémentaires.
L’organisation de l’Encyclopédie
Rappelons que ce projet a été initié en 2001 par M. Marcel Masse qui était alors président de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs. Après une période de réflexion et de mûrissement qui a donné au projet son assise définitive et confirmé la pertinence de son orientation, l’Encyclopédie a commencé son développement concret en 2005 sous la direction de M. Laurier Turgeon, professeur à l’Université Laval, et la codirection d’Yves Bergeron, professeur à l’Université du Québec à Montréal. Le comité de direction est composé de MM. Marcel Masse, président, Laurier Turgeon, Yves Bergeron et Martin Fournier, coordonnateur du projet. Le comité scientifique, composé de douze membres provenant d’universités québécoises, canadiennes, américaines et françaises, présidé par M. Jacques Mathieu, du Québec, et de M. Philippe Joutard, de France, a quant à lui été formé en 2006. Ce comité a apporté sa contribution et donné son aval à tous les aspects qui assurent l’originalité, l’utilité et la valeur scientifique de ce projet d’envergure.
Depuis 2005, l’Encyclopédie a bénéficié principalement de l’appui financier des gouvernements du Québec et du Canada et de l’Université Laval, sans exclure d’autres sources de financement. De plus, l’Encyclopédie a constitué un important réseau de partenaires scientifiques qui contribuent à la rédaction des articles et à l’enrichissement de ceux-ci au moyen de documents textuels, visuels, sonores et audiovisuels.
La maison Gabrielle-Roy à Saint-BonifaceCrédit |
Mentionnons l’Institut du patrimoine de l’Université Laval, l’Institut français de l’Université de Regina, le Collège universitaire de Saint-Boniface, l’Université de Sudbury, l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques de Moncton, l’Université Sainte-Anne de Pointe-de-l’Église, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, le Musée national des beaux-arts du Québec et Parcs Canada.
L’objectif de production est fixé à 500 articles au total. Le calendrier de réalisation prévu s’étale sur cinq années. À terme, il est prévu qu’une édition papier complètera le site Web de l’Encyclopédie. Quant à la répartition des sujets, le patrimoine immatériel sera privilégié, car il est très abondant et encore peu connu. Cette catégorie de patrimoine comprend les éléments performatifs de la culture, comme les rites, les fêtes, les festivals, les savoir-faire, la mémoire orale, la chanson, la musique et la danse. L’Encyclopédie comprendra aussi un grand nombre d’articles sur le patrimoine naturel et le patrimoine architectural et muséal. Sur le plan géographique, l’Encyclopédie couvrira neuf grandes régions où se trouve concentrée la plus grande part du patrimoine de l’Amérique française, soit le Québec, l’Acadie, l’Ontario, l’Ouest canadien, la Nouvelle-Angleterre, le Mid-Ouest américain, la Louisiane et la Floride, sans oublier l’important patrimoine de l’Amérique française qui se trouve en France.
L’Encyclopédie possède déjà son site Web, grâce auquel elle diffusera plus de 50 articles et les nombreux documents multimédia qui les accompagnent, dès le printemps 2008.
L’orientation de l’Encyclopédie
L’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française vise à identifier et à présenter les principaux lieux, pratiques et biens patrimoniaux de l’Amérique française, dans les trois grandes catégories définies par l’UNESCO (patrimoines naturel, matériel et immatériel). Le principal critère de sélection des sujets est la valeur d’usage sociale, c’est-à-dire les biens patrimoniaux qui sont les plus valorisés par les communautés elles-mêmes. Les articles d’une longueur moyenne de 2 000 mots chacun sont rédigés par des spécialistes des sujets sélectionnés, dans une forme accessible qui vise un large public. En même temps qu’elle témoigne d’un savoir établi, l’Encyclopédie veut être un lieu de réflexion et d’exploration tant des nouvelles manifestations du patrimoine, des nouvelles manières de le comprendre, que des nouveaux moyens de le communiquer.
Le patrimoine est devenu un phénomène majeur de la vie sociale contemporaine. Il se manifeste à l’échelle locale, régionale, nationale et internationale et il retient de plus en plus l’attention des pouvoirs publics. Il est populaire parce qu’il matérialise le passé et le rend directement accessible, sollicitant les sens et les émotions plus que la raison. On peut dire que le patrimoine reconstitue concrètement le passé et qu’il l’inscrit dans le présent. Il est aussi devenu largement synonyme d’identité, car le patrimoine répond à une demande sociale de racines et de continuité dans un monde de plus en plus caractérisé par la mobilité et les transformations.
L’attention portée à la «patrimonialisation», ou à la construction du patrimoine
La statue de Jeanne Mance à Langres, en FranceCrédit |
Une observation attentive révèle que le patrimoine est une construction, un phénomène qui est fait et refait sans cesse par les acteurs sociaux. L’Encyclopédie vise à mieux faire comprendre ces processus de « patrimonialisation », ou de construction du patrimoine. Il s’agit donc de savoir comment et pourquoi un bien, un lieu ou une pratique devient du patrimoine, de repérer le sens changeant que revêt tel ou tel élément du patrimoine à diverses époques. C’est un défi de taille parce que la patrimonialisation est un processus complexe et que cette approche va à l’encontre des idées reçues. En effet, le patrimoine est généralement présenté comme déjà-là, existant naturellement depuis fort longtemps. La notion classique du patrimoine repose sur l’idée d’origines, de pérennité et d’authenticité, plus encore sur l’idée de transmission et de conservation à l’identique de ces origines.
Certes, cette idée comporte une part de vérité quant à l’enracinement historique du patrimoine. Mais une observation attentive démontre que le patrimoine est souvent constitué d’éléments récents, parfois empruntés à d’autres cultures, puis appropriés et intégrés à la culture de réception par le processus même de la patrimonialisation. Même les éléments anciens sont réinterprétés et leur sens est réactualisé. Par exemple, le simple fait de restaurer un bâtiment transforme très souvent son apparence selon les canons esthétiques du moment, en faisant une place aussi grande au présent qu’au passé.
Le patrimoine en mouvement pour une encyclopédie vivante
L’Encyclopédie explore donc de façon novatrice cet aspect dynamique du patrimoine et elle porte une attention spéciale aux mouvements et aux mutations, aux mélanges et aux médiations. Loin d’être figé, le patrimoine est un processus de constante recréation et l’Encyclopédie a pour but d’illustrer clairement cette réalité.
Le cas des francophones d’Amérique du Nord représente justement un terrain d’observation très riche pour étudier ce type de phénomènes, dans la mesure où leurs patrimoines sont marqués par des expériences coloniales variées et par de nombreux emprunts aux autres cultures, notamment autochtones, britanniques et américaines, avec lesquelles ils ont été successivement en contact.
L’Encyclopédie se veut une entreprise vivante à l’image du phénomène qu’elle décrit. Elle est participative, interactive, et sa construction progressive se poursuivra sur une période de quelques années, en collaboration avec des dizaines de partenaires et des centaines d’auteurs. Elle comprendra de plus un volet jeunesse qui permettra aux élèves de niveau secondaire de prendre connaissance du patrimoine de l’Amérique française à travers tout le continent, à travers le Canada et dans leur région, puis de diffuser sur le site Web de l’Encyclopédie leur propre vision ou perception de ce patrimoine, en créant de nouveaux contenus et en partageant ceux-ci avec d’autres jeunes, dans une section du site Web spécialement conçue à cette fin.
Les perspectives de développement des prochains mois
Le premier module jeunesse de l’Encyclopédie sera prêt au mois d’avril 2008 et portera sur le patrimoine lié à la traite des fourrures, principal facteur de développement économique et d’exploration du territoire nord-américain pendant une longue période s’étendant du 17e au 19e siècle.
C’est également au printemps 2008 que le site Web de l’Encyclopédie sera officiellement inauguré et ouvert au public. Parmi les premiers articles qui seront accessibles, on trouve une grande variété de sujets touchant plusieurs régions du continent et répondant aux objectifs de l’Encyclopédie. Voici quelques exemples :
- L’île aux Basques
- Les Plaines d’Abraham
- La bibliothèque classée de P.-J. Olivier Chauveau
- Les débuts de la chanson populaire enregistrée au Canada français
- Le pont de Québec
- Les défilés de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal
- Le tintamarre des Acadiens
- Grand-Pré en Acadie
- L’œuvre romanesque d’Antonine Maillet
- La maison Gabrielle-Roy à Saint-Boniface
- La toponymie française des voyageurs de la rivière Churchill
- La danse et la musique du peuple Métis
- Le collège Saint-Jean à Edmonton
- La French Prairie, en Oregon
- Le quartier Beauregard de Bâton-Rouge, en Louisiane
- Le collège royal de La Flèche, en France (important foyer missionnaire vers le Canada)
- La mémoire de Jeanne Mance à Langres, en France
- Saint-Malo et le Canada français
Les projets de développement de l’Encyclopédie en 2008 sont ambitieux. Ils consistent notamment en la rédaction de 100 nouveaux articles et en la concrétisation d’un partenariat avec l’Office national du film qui vise à illustrer un grand nombre de biens patrimoniaux du Canada français au moyen d’une centaine de «clips» de 3 à 5 minutes chacun, tirés des films et des archives filmiques non diffusées de l’ONF, pour ne mentionner que ceux-là. L’équipe de l’Encyclopédie espère que l’ouvrage s’inscrira de façon durable dans l’héritage culturel de l’Amérique française à la faveur de l’année anniversaire qu’est 2008, en tant qu’instrument de mémoire, témoignage du présent et tremplin vers l’avenir.