ISAAC de RAZILLY, Amiral de France et « Canadien» : Touraine 1587-Acadie 1635
par Alain Jacquet
Historien et président de la Société archéologique de Touraine
Isaac de Razilly, issu d’une vieille famille du Chinonais, incorporé dès 1603, est reçu chevalier de Malte le 6 janvier 1605, à 18 ans.
Comme beaucoup de ses frères chevaliers français, il est au service du Roi de France. En effet, la « Religion » est un vivier pour la « Royale ». Le « Bailli » de Suffren sera, par exemple, un des plus célèbres marins formés à Malte, comme le non moins célèbre Tourville.
Quel est ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui son « cursus » ?
De Razilly commence sa carrière « officielle » en 1611
Connu sous le nom de « Commandeur », il commence sa carrière « officielle » en 1611, rappelé de Malte en France par son frère François, mandaté par Louis XIII et la Régente pour préparer une expédition colonisatrice au Brésil. En mars 1612, l’expédition lève l’ancre. Isaac commande la patache Sainte Anne. L’expédition navigue jusqu’à l’estuaire de l’Amazone et s’installe sur l’île de Maragnon. Il se retrouve à Malte en février 1616. En janvier 1619, il effectue son 1er voyage au Maroc, en vue de racheter des esclaves chrétiens, de passer une alliance avec le Roi et de conclure des traités de commerce. En août 1621, il obtient, par César de Vendôme, le commandement de l’escadre qui va combattre les Huguenots de la Rochelle et en octobre celle de 13 navires qui vont assiéger Saint-Martin. Il s’y empare de nombreux navires et y perd un œil. En 1622, il exécute différentes opérations maritimes, dont une nouvelle expédition au Maroc pour laquelle il fait appel à des Capucins de Touraine, choisis par le Père Joseph. Il devient la même année commandant, sous commission royale, de 6 vaisseaux malouins qui se livrent à la « câprerie ». La même année encore, il est nommé par lettres patentes commandant en second de la flotte de Bretagne et commande le « Saint Louis », de 400 tonneaux et 300 hommes. Fin 1623, il est nommé par Henri de Montmorençy 1er Capitaine de la marine du Ponant. En février 1624, il est nommé chef d’escadre par le Roi et Vice-Amiral. Il repart pour le Maroc en octobre et y est fait prisonnier.
Dans un Mémoire daté de Pontoise du 25 novembre 1626, il développe un plan d’action que Richelieu s’appropriera : il a en effet perçu l’avenir possible des colonies, au point de vue économique et politique. Il a envisagé un programme commercial d’import-export, pourrait-on dire, laissant délibérément de côté les Indes Orientales, trop éloignées à son avis et où la France se confronte à l’Espagne et surtout à la Hollande, puissance maritime majeure. Il préconise que la noblesse puisse s’intéresser, sans « déroger », au trafic d’outre-mer. Il sera l’un de ceux, trop rares, qui recommanderont au pouvoir central de créer et d’entretenir une véritable marine, les ports pour l’abriter et lui permettre de radouber et de s’équiper, pour enrichir le commerce et faire face aux deux marines les plus puissantes de l’époque, la britannique et la hollandaise. Il émet même l’idée que la puissance sur mer entraînera la puissance sur terre. Dans la partie qu’il réserve à la Nouvelle-France, il propose de créer pour son développement une compagnie de commerce au capital de 300 000 livres, d’empêcher tout empiètement anglais au nord du 36ème parallèle et d’établir plusieurs milliers de colons pour exploiter les ressources et affermir la possession du territoire. Cela aboutit à la fondation l’année suivante de la « Compagnie de la Nouvelle-France » ou « Compagnie des Cent-Associés », au capital de 1,600M de livres, qui comptait, outre Richelieu lui-même, Samuel Champlain (1567-1635), le « Père » de la Nouvelle-France, et Hugues Cosnier, constructeur du canal de Briare, de la Loire à la Seine. Razilly en est le 43ème membre.
Au printemps 1628, une flotille de 4 navires met à la voile avec colons, vivres et bétail destinés à S. Champlain, à Québec, et à Charles de la Tour, à Cap Sable, mais elle est interceptée par une escadre anglaise et presque rien ne parvient au Canada. L’année suivante, une escadre de 3 bâtiments de guerre sous le commandement de Razilly prend la mer pour convoyer les navires de commerce mais la signature de la paix franco-anglaise oblige Richelieu à lui ordonner de se dérouter vers la Méditerranée pour combattre les Barbaresques.
L’année suivante, nous le retrouvons commandant de l’avant-garde de la flotte. En 1629, 30 et 31, il effectue à nouveau des voyages au Maroc et déjà au Québec, pour ravitailler les Français, et à Terre-Neuve pour assister les pêcheurs. Il commande La Licorne.
Il signe en mars 1632 avec le cardinal un accord selon lequel il doit prendre possession de Port-Royal (Annapolis Royal) au nom de la compagnie et du Royaume et faire de l’Acadie une colonie française.
Lieutenant-Général de la Nouvelle-France ou Acadie en avril 1632
Ayant obtenu en avril suivant des lettres patentes le nommant Lieutenant-Général de la Nouvelle-France ou Acadie, rendue à la France par l’Angleterre par le traité de Saint-Germain-en-Laye de mars 1632, il se voit céder par la Compagnie des Cent-Associés un vaste territoire en Nouvelle-Ecosse et le titre de Vice-Roi, titre qu’elle possédait par l’abandon fait par le Duc de Ventadour. Sans moyens financiers à la suite des nombreuses pertes subies pendant la guerre entre la France et l’Angleterre, elle doit trouver une solution et cède une partie de son monopole sur la traite des fourrures à d’autres compagnies privées, contre leur participation à la constitution du capital. De Razilly et certains de ses amis et investisseurs forment alors une association, nommée ensuite Compagnie Razilly-Condonnier : Isaac, son frère Claude, un financier appelé Jean Condonnier, Louis Motin, sieur de Courcelles, contrôleur du sel aux Caraïbes, de Menou d’Aulnay, etc.
Il part de France, d’Auray exactement, le 4 juillet 1632, sur la frégate l’Espérance de Dieu accompagnée de 3 autres vaisseaux de 40 canons escortant 2 transports. Chef de l’expédition, il est accompagné par Charles de Menou d’Aulnay de Charnizay, son parent (qui deviendra son successeur, agent d’une société fondée l’année de la mort d’Isaac pour coloniser l’Acadie et qui recevra en 1642 de Claude de Launay-Razilly, frère cadet d’Isaac, 4000 livres pour « services rendus à son frère »), officier de marine, et par Nicolas Denys, marchand de Tours, neveu d’Hugues Cosnier qui auront tous deux une vie bien remplie au Canada. Il y a aussi son neveu, fils de son frère François, prénommé Claude comme son frère cadet, de Razilly-Launay. Ce neveu mourra en Acadie. Trois Capucins sont également du voyage ainsi que des émigrants bretons, tourangeaux et poitevins, tous célibataires sauf une quinzaine mariés. Sans incident notable, la flotte se présente le 8 septembre dans la baie de La Hève, au sud-est de l’Acadie (Nouvelle-Ecosse).
Il en repart aussitôt pour la baie Française (de Fundy) pour se faire restituer le Fort Saint-Jean et le Fort de Port-Royal (Annapolis). Les colons qui y débarquent sont les premiers que la Compagnie des Cent-Associés peut installer depuis sa fondation en 1627.
Trois autres postes sont installés ou réinstallés au Cap Breton, au Cap de Sable et à Pentagouet. Razilly fait construire un fort et sa demeure dans le havre de La Hève, sur une pointe à l’embouchure de la rivière. Denys s’installe en face, à Port Rossignol (Brooklyn) et de Menou reste à Port Royal.
De Razilly s’intéresse aux conditions de la colonisation et se rend compte très vite des difficultés financières. Il divise le pays en seigneuries, les seigneuries en fermes qu’il donne à bail à chaque famille (une quarantaine) par lots de terre cultivable de 100 arpents, pour 2 sous et ½ minot (mesure pour les matières sèches, valant 20 litres environ) de blé de loyer, avec attribution de bestiaux. Le colon doit s’engager à faire moudre son grain au moulin du seigneur moyennant un droit de mouture de 1/14ème.
Il a la satisfaction de voir ces familles prospérer et s’étendre autour de son fortin.
De plus, il charge Nicolas Denys de construire des pêcheries, ce que celui-ci fait à La Hève, avec son frère aîné, Simon, arrivé avec sa femme et ses enfants par la même expédition, d’assurer le commerce des fourrures et de s’approvisionner en bois de charpente et de marine. En 1633, c’est Jacques Denys, leur frère aîné, qui les rejoint et la famille choisit Port Rossignol (aujourd’hui Brooklin) pour y établir sa première pêcherie permanente qui exporte de la morue vers la Bretagne et le Portugal.
De Menou repart presque chaque année en France avec peaux, poissons et bois de charpente et de construction (mâts) pour en rapporter des vivres. Il emprunte des fonds, loue des navires et recrute des colons. Razilly le charge aussi de reprendre aux Anglais le poste de Pentagou et, fondé une dizaine d’années auparavant par Claude de Saint-Etienne de la Tour.
Il y réussit avec l’aide du fils de Claude de la Tour, Charles, qui, dès 1636, reçoit de la Compagnie la concession du Vieux-Logis de Pentagouet. Pour tenter de résoudre les problèmes d’argent toujours présents, Razilly songe alors à associer à l’entreprise l’Ordre de Malte pour trouver des capitaux et propose au Grand Maître de Paule, Français lui aussi, la fondation d’un nouveau Prieuré à La Hève. Nous connaissons la réponse dilatoire, mais négative, d’Antoine de Paule, mais nous n’avons pas conservé le brouillon de la demande d’I. de Razilly et nous ne pouvons qu’imaginer sa teneur. Sans doute aurait-il été déçu par cette réponse mais, en novembre 1635, le « Commandeur » meurt « d’épuisement » comme l’on dit à l’époque, à 48 ans, à La Hève, avant que cette réponse n’arrive.
I. de Razilly aura donc cependant réussi en bien peu de temps à créer une colonisation permanente, tournée tout d’abord vers l’agriculture, une nécessité s’il voulait nourrir les colons. En second lieu, vers l’exploitation de la forêt et du bois de charpente et de marine, utilisé pour la construction bien sûr mais aussi et surtout pour en tirer profit et aider au maintien et à l’expansion de la colonie et enfin vers les pêcheries, mais la guerre franco-espagnole empêcha leur développement.
Il a eu une sérieuse influence sur l’effort de recolonisation français.
Il avait également un but plus large dans sa tentative de colonisation : dans un mémoire adressé au cardinal de Richelieu en juillet 1634, il met l’accent sur l’esprit chrétien qui domine et marque le but de cette colonisation, avec comme corollaires l’intérêt de la religion et le salut des âmes. C’est donc le « Père Joseph » qui est son protecteur, sous l’autorité d’Armand du Plessis.
On a dit de lui qu’il avait « planté les racines de la culture du peuple canadien et d’un certain nombre de gens aux États-Unis ». N. Denys a également dit qu’« il n’avait pas d’autre désir que de peupler ce pays ».
On peut ajouter qu’Isaac de Razilly est considéré par certains auteurs canadiens comme le « Père de l’Acadie ».
Les Canadiens français, qui connaissent en général nettement mieux l’histoire de leurs ancêtres que nous, ont rendu hommage à I. de Razilly au musée de « Fort Point » (nom actuel de La Hève) qui commémore l’établissement par le « Commandeur » du Fort Sainte-Marie-de-Grâce, considéré par eux comme la première capitale de la Nouvelle-France, de 1632 à 1636. Un ensemble de stèles rend hommage aux différents découvreurs et colonisateurs français. L‘une d’elles le fait pour M. de Razilly.
À La Hève, son point de débarquement, aujourd’hui La Have, qui avait été choisie par S. Champlain et Pierre DuGua de Mons en 1604, quand ils s’ancrèrent dans la Baie Verte et dont le nom avait été pris en rappel du Cap de la Hève, en Normandie, un cairn rappelle son souvenir. Edifié par « la Commission des sites et des monuments historiques du Canada » sa plaque commémorative est dressée à la mémoire d’I. de Razilly : « après le traité de St Germain en laye en 1632, la France décida de fonder des établissements permanents en Acadie. Isaac de Razilly fut nommé lieutenant-général. Il construisit un fort en ce lieu et y fixa le siège du gouvernement ».