Jean-François Gaultier, médecin du roi botaniste (1742-1756)
par Stéphanie Tésio
Docteur en Histoire, Université Laval
Docteur en Histoire, Université de Caen
Michel Sarrazin et Jean-François Gaultier ont des destins assez similaires. Ils sont tous deux médecins du roi au Canada dans la première moitié du XVIIIe siècle, respectivement en 1699 et en 1741. Ils ont pour fonction de soigner les soldats de la colonie et la population de Québec au sein des structures hospitalières (hôtels-Dieu et hôpitaux généraux), et d’agir en cas d’épidémies. D’ailleurs, c’est en soignant l’une d’entre elles, respectivement en 1734 et en 1756 que ces deux praticiens en meurent. Lors de leur mandat, ils agissent tous les deux comme correspondants des académiciens de l’Académie Royale des Sciences de Paris qui les sollisup pour connaître la faune, la flore et les minéraux du Canada. Ils recueillent des spécimens de tout genre, procèdent à des observations et en rendent compte à leurs correspondants de l’Académie. Du reste, deux plantes portent leur nom en leur hommage : la sarracenia purperea pour Michel Sarrazin et la gaultheria pour Jean-François Gaultier.
Dans le courant du XVIIIe siècle, l’accumulation des connaissances et la mise en valeur des sciences se traduisent par la volonté de tout répertorier sur l’ensemble du globe, dans les colonies ou dans les comptoirs commerciaux créés par les métropoles européennes. Jean-François Gaultier de 1742 à 1756 et le marquis de la Galissonnière, gouverneur de la Nouvelle-France, tous deux très versés dans la botanique sont les correspondants de l’académicien Duhamel du Monceau auquel ils envoient des spécimens, malheureusement disparus aujourd’hui.
Trois manuscrits sont attribués à Jean-François Gaultier. Un seul est de façon certaine de sa plume. Il s’agit de la Description de plusieurs plantes du Canada par M. Gaultier, avec les commentaires du marquis de La Galissonnière (1749)1, ayant 175 plantes décrites ; De l’explication des vertus des plantes (1750), sans auteur, et rattaché au fonds de Jean-François Gaultier2 ; d’un manuscrit sans titre et sans auteur, datant du XVIIIe siècle3. Concrètement, le premier manuscrit a 585 pages incluant les pages blanches. Cent soixante-quatorze (174) plantes y sont décrites répertoriées, d’après l’index présent à la fin du document. Les plantes, dénommées en latin, sont classées par ordre alphabétique de A à X, et ne sont pas numérotées. Les envois (numéro et année) ne sont pas précisés. La longueur de la description est variable d’une plante à l’autre, de quelques lignes à quelques dizaines de lignes, soit en fonction des connaissances de l’auteur, soit en fonction des informations recueillies. Le nom générique de la plante est constitué de la grande famille à laquelle elle appartient, puis se subdivise progressivement. Vient ensuite à proprement parler la description de la plante : tige, feuille, fleur, fruit, longueur, largeur, particularités de croissance, quelquefois les usages thérapeutiques.
Ces trois manuscrits, auxquels il faut ajouter celui de Michel Sarrazin, ont en tout 1 203 pages de description de plantes canadiennes. Ainsi, l’histoire botanique canadienne du XVIIIe siècle est un exemple significatif pour mettre en exergue la relation entre l’expansion coloniale et le développement des savoirs scientifiques, entre la France et le Canada.
Jean-François Gaultier recueille les spécimens de deux manières : en se promenant dans la campagne canadienne avec Pehr Kalm en 1749, et en s’appuyant sur le réseau de relations professionnelles du marquis de la Galissonnière, gouverneur, dont les militaires sont postés dans des forts éloignés. Il rencontre beaucoup moins de problèmes que Michel Sarrazin qui doit, à son époque, composer entre autres avec la menace amérindienne.
Trois aspects se dégagent de la mission botanique de Jean-François Gaultier : l’étude des plantes qui peuvent être commercialisées ou cultivées à grande échelle, telles que la capillaire du Canada ; l’étude des plantes comme nouveaux spécimens qui viennent alimenter l’herbier du jardin des plantes de Paris, telles que la sarracenia purperea, la gaultheria et l’herbe à puce ; et l’étude des plantes aux effets thérapeutiques, telles que le sapin blanc et l’épinette rouge.
L’objet de mes prochaines recherches scientifiques portera justement sur ces manuscrits.