Jean-François Gaultier, médecin du roi météorologue (1742-1756)
par Stéphanie Tésio
Docteur en Histoire, Université Laval
Docteur en Histoire, Université de Caen
C’est là toute la question de la relation entre climat et maladies.
Bien avant l’émergence des topographies médicales en France, les observations météorologiques de Jean-François Gaultier se situent entre 1742 et 1756. Seules ses observations recueillies entre 1742 et 1748 sont connues. Généralement, les derniers vaisseaux du roi quittent Québec en octobre à cause du froid hivernal qui empêche toute navigation. En conséquence, Jean-François Gaultier rédige ses rapports de telle sorte qu’ils embrassent une année, d’octobre à septembre — excepté pour 1742, première année d’observations, qui commence en novembre. Ainsi parvenu à Paris, chacun de ses rapports ou relevés, appelés « journal d’observations botanico-météorologiques » par Duhamel du Monceau, est lu par cet académicien devant l’Académie Royale des Sciences de Paris.
Jour après jour, mois après mois, Jean-François Gaultier indique les températures en degrés Réaumur dont le système s’approche de celui de Celsius, l’état du ciel (nuageux, ensoleillé, pluvieux, etc.) et l’orientation du vent. Cela permet de connaître le climat de Québec à cette époque, avec des températures saisonnières bien contrastées. Jean-François Gaultier s’attarde à décrire toutes les étapes de la culture des blés, des fruits et des légumes et de la récolte du sirop d’érable; il signale aussi les événements comme les gelées, les inondations et les épidémies de chenilles. Les maladies et les soins ne sont pas son propos central. Il s’inscrit dans un mouvement appelé la « médecine météorologique » ou « médecine aériste », mouvement créé par Hippocrate, remis en vigueur par Sydenham à la fin du XVIIe siècle et largement développé en Europe à partir des années 1770 (http://www.ulaval.ca/afi/colloques/colloque2003/decouvreurs/tesio.html).
Jean-François Gaultier effectue ses observations le matin vers 7 ou 8 heures et l’après- midi vers 14 ou 15 heures à un endroit inconnu. Il éprouve des difficultés à plusieurs reprises, particulièrement lorsque les froids hivernaux deviennent intenses. Par exemple, les 20, 21 et 22 décembre 1742, la température est si basse que le liquide du thermomètre se situe dans la boule de l’appareil, en dessous du minimum et ne peut donc pas indiquer une température qui est supposée être inférieure à celle du 19 décembre (-25°). Pour remédier à ces inconvénients, Duhamel du Monceau lui expédie de nouveaux thermomètres dans le courant de l’année 1743, thermomètres à mercure mis au point par Delisle, sur lesquels le médecin réadapte une graduation calquée sur le système de Réaumur.
Les quatre saisons traditionnelles existent au Canada, mais ce sont l’été et l’hiver qui occupent le plus de place dans ses descriptions mensuelles. L’été dure de mai à octobre et l’hiver, de novembre à avril. Les saisons intermédiaires, le printemps et l’automne, durent peu de temps, seulement quelques semaines en mai et en octobre. Sur les sept ans d’observation, en hiver, lors des mois de janvier, février et mars, la température minimale est quasiment identique (c’est-à-dire environ -30°), et ce, en supposant que le thermomètre ait été bien placé et soit fiable. Jean-François Gaultier rapporte d’ailleurs qu’en hiver le fleuve Saint-Laurent gèle et connaît des ponts de glace. Quant aux étés, sauf pour 1743, ils présentent des maximales élevées (plus de 35°). Entre ces deux saisons, les écarts sont donc plutôt conséquents.
Le fleuve Saint-Laurent coulant Sud-Ouest/Nord-Est, il est intéressant de constater que les vents dominants observés sur quatre années pleines (1743, 1744, 1745 et 1748) suivent le cours du fleuve. Leur fréquence étant de la plus haute à la plus basse : vents du Sud-Ouest, du Nord-Est — vent le plus froid selon Pehr Kalm — et du Nord-Ouest.
Sur les 59 mois étudiés, entre 1742 et 1748, Jean-François Gaultier évoque à 13 reprises dans ses relevés l’influence de la météorologie sur les maladies contractées par les Canadiens. La plupart des mentions portent sur des répercussions concrètes du froid ou de la chaleur.
Dans ces 59 mois, tout en sachant que plusieurs de ces maladies apparaissent dans chacun des mois, nous relevons : 51 cas de fièvres ; 13 cas de maladies au niveau de la tête ; 8 cas de maladies au niveau de la gorge ; 43 cas de maladies pulmonaires (pleurésies et péripneumonies) ; 23 maladies au niveau du ventre ; 1 cas de jaunisse ; 2 cas de coqueluche. Sur ces 141 mentions de maladies recensées entre 1742 et 1748, il est clair que les fièvres et les maladies pulmonaires dominent largement et occupent les 2/3 des maladies recensées.
Les fièvres sont présentes toute l’année, même si elles sont effectivement plus nombreuses en hiver qu’en été : en hiver, les 34 mentions se classent ainsi : 13 putrides, 8 malignes, 6 continues, 3 miliaires, 2 éphémères, 1 intermittente ; et les 18 mentions d’été : 6 continues, 4 malignes putrides, 4 malignes, 2 éphémères, 1 ardente, 1 vermineuse. Trois sortes de fièvres règnent toute l’année : les putrides, les malignes et les continues.
Ainsi, il faut retenir de Jean-François Gaultier, médecin du roi en Nouvelle-France, qu’il s’occupe, en plus de ses fonctions officielles, de recueillir nombre de données à caractère scientifique pour les intérêts de l’Académie Royale des Sciences de Paris et de ses membres. Lui et tous ses confères disséminés dans les autres colonies participent activement à cette volonté d’accumuler les connaissances et de les répertorier sur l’ensemble du globe.