La Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs commémore l’implication des Québécois dans la Grande Guerre 1914-1918
Par Gilles Durand
La Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC) se joint au Collège militaire de Saint-Jean-sur-Richelieu et à la Fédération Histoire Québec pour commémorer la participation des Canadiens français à la Grande Guerre 1914-1918. Pour l’occasion, les trois organismes organisent en partenariat, les 31 octobre et 1er novembre 2014, sur le campus du Collège, un colloque d’une journée et demie, au cours duquel les participants ont l’occasion de faire la visite du Musée du Fort Saint-Jean sous la direction habile d’Éric Ruel.
Le 1er volet de la commémoration
De g. à d. Gilbert Pilleul et Denis Racine, Chérisy, France, 5 avril 2014
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Sous le titre « 1914-1918 Le Québec s’en va-t-en guerre », le colloque constitue le 2e volet de deux rencontres sur le même thème. La première rencontre est tenue à Paris le 4 avril 2014. Le sacrifice des anciens combattants ne doit pas être oublié. Les coprésidents de la CFQLMC, Denis Racine et Gilbert Pilleul, profitent de l’occasion pour s’arrêter dans l’un des nombreux cimetières militaires de la région Nord–Pas-de-Calais et y déposer une gerbe de fleurs. Le magazine France-Québec Mag, no 68, juillet 2014, de l’Association France-Québec renferme un compte rendu de 12 pages sous la plume du journaliste Georges Poirier. La publication des Actes de la journée est prévue aux Éditions Septentrion.
La rencontre de l’automne 2014
Le programme de la rencontre de l’automne 2014 comprend neuf conférences réparties en quatre séances, suivies d’une table ronde à laquelle participent Serge Bernier et Rock Legault, sans compter la conférence d’ouverture. L’occasion est toute choisie pour les conférenciers et les participants de revenir sur les questions abordées lors de la journée d’études de Paris. « Sait-on seulement…, d’écrire Béatrice Richard faisant partie du comité organisateur du colloque, que la révolte contre la conscription était au départ bien davantage sociale que politique? » Le coup d’envoi des conférences est donné par le commandant et le doyen des sciences humaines du Collège militaire, le Colonel Jennie Carignan et Marc Imbault, de même que par les présidents de la Fédération Histoire Québec et de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, Richard Bégin et Denis Racine.
Colonel Jennie Carignan – Ne jamais oublier le prix des sacrifices
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Denis Racine – Les combattants de la Guerre 14-18 auront toujours une résonnance affective parmi nous
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Conférence d’ouverture : Les relations France-Québec pendant la Première Guerre mondiale.
La conférence d’ouverture revient à Carl Pépin. Elle donne à penser que les relations entre Français et Québécois se situent surtout à l’époque au niveau de l’élite. L’appel au devoir, lancé par les dirigeants pour se porter à la défense de l’ancienne mère patrie, a peu de résonnance affective dans la masse. L’effet mobilisateur n’est pas au rendez-vous. Les Canadiens français du Québec s’engagent dans la guerre plutôt par goût de l’aventure et pour toucher une solde. La circulation est limitée entre les peuples québécois et français. Les premiers ont pris racine. Les Français au Québec, nés outre-frontière, sont en petit nombre. Ce n’est qu’à compter du début des années 1960 que les échanges s’accélèrent. D’ailleurs c’est la même chose pour les anglophones canadiens : ceux nés au Royaume-Uni répondent plus généreusement que ceux nés au Canada.
Séance 1 – Partir en guerre
La 1re séance présente trois communications données par Desmond Morton, Jean Martin et Jean-Pierre Gagnon. Une des conclusions qui se dégage, est que les Canadiens français du Québec répondent positivement comme volontaires aux appels à l’aide sur le front des opérations. D. Morton souligne que le Québec, à l’instar des autres provinces, a participé généreusement à l’entraînement de cadets dans les écoles. J. Martin relativise la crise de la conscription : le Québec n’en a pas le monopole; partout dans le monde britannique où l’enrôlement obligatoire a dû être imposé, il y a mécontentement, parfois manifesté d’une façon violente. « Si les Canadiens français, ajoute-t-il, ont servi en nombre plus restreint que leurs concitoyens anglophones, leur contribution mérite tout de même d’être signalée et mieux expliquée ». J.-P. Gagnon redonne vie aux volontaires et conscrits du 22e Bataillon en en dressant le portrait type : des célibataires dans la vingtaine, journaliers citadins sans emploi, en quête d’aventure et d’un revenu. Cette dernière observation est intéressante en ce sens qu’elle peut constituer une explication sur le peu de résonance affective du devoir de venir en aide à la France prêché par l’élite française et québécoise.
Séance 2 : Sur la ligne de feu
Marcel Fournier – La recherche généalogique pour cimenter la solidarité franco-québécoise
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L’identification des volontaires et des conscrits qui se sont rendus au front présente un défi, tant ceux qui en sont revenus que ceux qui sont tombés au champ d’honneur. C’est la question qu’abordent Yves Tremblay et Marcel Fournier. Y. Tremblay prend la relève de J.-P. Gagnon pour parler des Canadiens français qui s’engagent dans des unités autres que le 22e Régiment et pour souligner la difficulté que leur étude représente : abondance des dossiers, quelque 620 000 pour le corps expéditionnaire canadien, cas particuliers comme l’enrôlement de Québécois dans une province voisine. L’échantillonnage s’avère une solution. M. Fournier poursuit en rappelant l’intérêt de grandes sources : mémoriaux pour l’identification des soldats tombés sur les champs de bataille, dossiers de soldats numérisés, bases de données accessibles sur Internet, entre autres celles déposées par les ministères de la Défense et des Anciens Combattants et par Bibliothèque et Archives Canada. Les résultats des recherches généalogiques constituent un réservoir inestimable. « Savoir qui ils sont et voir d’où ils viennent, dit-il » permet non seulement de sauver les militaires de l’oubli et de les faire entrer dans la mémoire collective, mais aussi de repérer les liens entre les familles de part et d’autre de l’Atlantique et de renforcer la solidarité franco-québécoise.
Séance 3 : Les intellectuels canadiens-français dans la Grande Guerre
La 3e séance donne la parole à deux conférenciers, Charles-Philippe Courtois et Hélène Pelletier Baillargeon. C.-P. Courtois entretient l’auditoire de Lionel Groulx et du nouvel indépendantisme québécois, centré sur un Québec qui désire accroître sa marge de manœuvre face au gouvernement canadien, plutôt que sur un Canada indépendant dans l’Empire britannique. Mais qu’en est-il pour les années 1914-1918, quel est la portée du message de Groulx à l’extérieur du milieu des élites. Dans l’étude des recrues du 22e Régiment, Jean-Pierre Gagnon n’affirme-t-il pas que « la lutte pour la survivance ne constituait pas la priorité absolue de tous les Canadiens français ». Hélène Pelletier-Baillargeon dresse le portrait d’un polémiste coloré, Olivar Asselin, qui, loin d’avoir fait l’unanimité, est trop vite oublié. Asselin distingue devoir national et devoir personnel. « Pour lui, le devoir national consiste pour les Canadiens français, de dire la conférencière, à refuser l’enrôlement à titre de colonie britannique… Le devoir personnel est au contraire de se montrer solidaire, au-delà du traité de Paris, du drame qui frappe la mère patrie. » La conférencière conclut en affirmant : « Le destin n’a pas voulu du sacrifice de sa vie et l’officier démobilisé n’a plus aucune perspective d’emploi. » Ces deux communications donnent une certaine mesure de la distance entre l’élite et la masse des Québécois.
Séance 4 : Sur le front domestique
Béatrice Richard et Mourad Djébabla-Brun prennent la parole pour la dernière séance. Béatrice Richard débute en qualifiant la contestation populaire qui secoue le Québec entre 1917 et1918, d’« d’insurrection tranquille » et en en exposant le principal motif. Pour la conférencière, les Québécois sont plus préoccupés du quotidien « que des dissertations d’un Henri Bourassa sur la constitutionnalité de la conscription ». Plutôt qu’un conflit de nature politique entre Québec et Ottawa, entre Canadiens français et Canadiens anglais, elle y voit plutôt une réaction des Québécois à une intrusion et à une attaque du gouvernement fédéral contre leur mode de vie caractéristique d’une société préindustrielle. La famille québécoise est l’unité de base, relativement autarcique, ses membres en constituant la main-d’œuvre et en assurant sa survie. La conscription ébranle l’unité familiale en lui enlevant des bras pour une guerre outre-frontière. Il est vrai que les émeutes ont lieu dans les villes, à Québec et à Montréal, mais à l’époque les appréhensions et les mécontentements circulent facilement entre la ville et la campagne. Le 2e conférencier aborde une question plus spécifique du mécontentement populaire, le rationnement découlant des politiques du Contrôleur des vivres du Canada en 1917. Les Québécois supportaient mal une autre intrusion dans leurs habitudes alimentaires. Les préoccupations des Canadiens français du Québec sont plus terre à terre, mais qu’en-t-il de celles des anglophones du Canada face à la réaction très négative du Québec à la conscription? Sur ce point, les deux conférenciers créent de l’intérêt pour en savoir davantage.
Une marque de reconnaissance du coprésident de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, Denis Racine
De g. à d. Jean-Pierre Gagnon, Jean Martin, Desmond Morton, Denis Racine –
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