La naissance de la botanique en Nouvelle-France
par Jacques Mathieu
Université Laval
L’auteur du premier livre de plantes du Canada
Le premier livre de plantes du Canada a été publié à Paris en 1635, du temps où Samuel de Champlain, le fondateur de Québec, vivait encore. L’auteur, Jacques-Philippe Cornuti, est docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, tout comme son père. Il a terminé six années d’études dont une, sous la supervision de Jean Robin, le responsable du Jardin des plantes de l’École de médecine et à la même époque que Vespasien Robin, le fils du précédent, ainsi que d’un apothicaire devenu célèbre en Nouvelle-France, Louis Hébert.
L’intérêt de Cornuti pour la botanique se manifeste relativement tôt. Dès 1623, alors qu’il poursuit encore ses études, il écrit deux petits poèmes en hommage à une publication de son maître en botanique. Devenu médecin en 1626, il s’éloigne temporairement de l’étude des plantes. L’ouverture annoncée d’un jardin royal des herbes médicinales et la perspective d’y faire carrière l’ont sans doute incité à préparer cette publication. Du moins, il ne ménage ni sa peine, ni son argent pour produire une œuvre de qualité.
L’ouvrage porte principalement sur la description de plantes du Nouveau Monde jusque-là inconnues. Il est écrit en latin, seule langue universelle de communication scientifique à l’époque. Il vise ainsi à accroître le répertoire mondial des plantes. La structuration de l’ouvrage, abandonnant l’élémentaire ordre alphabétique, s’inspire des plus récentes avancées dans le système de classification par familles. L’auteur présente l’espèce, puis il décrit la variété canadienne en en faisant ressortir les particularités.
Il donne à son travail une saveur didactique par le recours à de nombreuses illustrations – en général une figure par plante – et dont il produit une représentation distincte et agrandie des fruits, des fleurs et de la racine. Les dessins, malgré une certaine froideur scientifique, sont d’une finesse et d’une précision exceptionnelles compte tenu des procédés d’impression de l’époque.
Non seulement a-t-il été publié, mais l’édition fut d’une remarquable qualité à de multiples points de vue. L’ouvrage se voulait novateur sur le plan du contenu comme de la présentation, dans ses perspectives scientifiques, esthétiques et didactiques. Marie-Victorin considère qu’il marque la naissance de la botanique américaine. Par contre, il est demeuré relativement méconnu, encore de nos jours.
Dans sa démarche, l’auteur combine tradition et innovation. Aux citations des travaux des savants de l’Antiquité, il ajoute le fruit de ses observations conduites sur le terrain. Ses descriptions concernent la forme et la disposition des feuilles, la longueur et le type de tiges et de racines, le nombre et la couleur des fleurs, ainsi que le moment de la floraison. De même, il reprend en partie l’énoncé des vertus médicinales anciennes, mais il n’hésite pas à en expérimenter lui-même les propriétés et usages. Il goûte, hume, dissèque, concocte des potions à partir de la feuille, de la fleur, du fruit ou de la racine.
À la partie principale de l’ouvrage, consacrée aux plantes de la Nouvelle-France, s’ajoutent deux brèves dissertations sur les plantes qui ouvrent la nuit et sur celles qui ouvrent à la chaleur. Ces expériences scientifiques vaudront encore pendant un siècle. Enfin, il publie, sous forme de liste, un premier inventaire systématique des plantes des environs de Paris. Il procède sur la base des lieux d’herborisation qui, de fait, demeureront privilégiés tout au long du siècle suivant.
Le réseau français de Cornuti
Les Robin et Marin Mersenne, religieux et homme de science, ont joué un rôle central dans la carrière botanique de Cornuti. Jean Robin, le père, responsable du jardin de l’École de médecine, lui a enseigné pendant une année l’usage des plantes. Vespasien Robin, le fils du précédent, a suivi la même formation et peut-être en même temps. Ce Vespasien, devenu sous-démonstrateur au Jardin des plantes au moment de sa création en 1635, y a transporté les plantes du Canada, initialement mises en terre dans le jardin de l’École de médecine. Grands collectionneurs, les Robin se préoccupaient d’obtenir des boutures et des racines de toutes les parties du monde. Dans ces jardins, Mersenne agrémentait les promenades en dissertant sur les plantes et leurs vertus. C’est dans ces jardins que Cornuti a pu mener la majorité de ses observations visant à décrire les plantes du Canada.
Devenu médecin en 1626, mais ayant une faible pratique, il offre ses services bénévolement aux religieux minimes où œuvre Marin Mersenne. Ce dernier, l’un des plus grands savants de cette époque, est considéré comme le secrétaire général de la pré-Académie des sciences. Cornuti put ainsi suivre de près les débats sur les thèses scientifiques des personnages les plus célèbres de l’époque, René Descartes, Fabri de Peiresc, Charles de l’Écluse, Ambroise Paré, Galilée, Conrad Gesner, Mathias Lobel, John Tradescant, John Parkinson.
Un deuxième réseau de personnes en relation avec la Nouvelle-France
Cornuti a alors profité de l’existence d’un deuxième réseau de personnes, cette fois en relation avec la Nouvelle-France. La personne qui, dans la colonie d’Amérique, pouvait repérer les plantes du Canada inconnues jusque-là en France devait absolument posséder une connaissance intime des plantes. Seul l’apothicaire Louis Hébert avait une semblable compétence. Le relevé des dates d’entrée des plantes en France, soit entre 1621 et 1627, correspond aux années où Louis Hébert vit à Québec avec sa famille, soit de 1617 à 1627. Au surplus, Louis Hébert a sans doute fait ses études d’apothicaire sous la supervision de Robin père et vraisemblablement durant la même période que le fils Robin. Enfin, un frère de Louis Hébert, Jacques, a vécu chez les Minimes de 1588 à 1632. Il y a d’ailleurs été rejoint en 1632 par Eustache Boullé, le beau-frère de Samuel de Champlain, qui avait également vécu à Québec de 1619 à 1629. Tout un faisceau d’éléments et un réseau complexe de personnes convergent ainsi pour identifier les initiateurs de la publication du premier livre de plantes du Canada.
Ce livre n’a pas connu de succès d’audience. Sa publication en latin, l’absence de traduction avant la deuxième moitié du XXe siècle et le défaut d’identification du personnage de la Nouvelle-France qui en a rendu possible la réalisation expliquent sans doute ce relatif anonymat. Par contre, parmi les plants qui y sont décrits, le Robinier faux acacia (du nom même de Robin) est devenu l’une des espèces d’arbres les plus répandues dans les parcs européens. Le grand Linné a donné au Thalictrum le nom de Cornuti pour signaler son apport à la botanique. Et si l’on n’avait pas fait de Louis Hébert l’Abraham de la colonie parce qu’il est venu avec sa famille ou encore le premier agriculteur à cause de son jardin, on aurait pu, à juste titre, voir en lui le père de la botanique nord-américaine.
Source : Les Presses de l’Université Laval |
Pour en savoir plus : Jacques Mathieu, avec la collaboration d’André Daviault. Le premier livre de plantes de la Nouvelle-France. Les enfants des bois du Canada au jardin du roi à Paris en 1635. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1998, 331p.