Le double monument à Montcalm et l’œuvre de mémoire
de son compatriote Gaston Bouzanquet
Par Mme Michèle Pallier, de l’Académie de Nîmes
Monument de Montclam
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« Si Québec est le tombeau de Montcalm, Vestric et Candiac en est le berceau », a-t-on pu écrire.
C’est en effet dans cette petite commune du Languedoc, entre Nîmes et Montpellier, qui, jusqu’en 1790, dépendait du bourg historique de Vauvert, que se trouve le château de Candiac, où naît, le 28 février 1712, Louis-Joseph de Montcalm-Gozon, seigneur de Saint-Véran, Candiac, Tournemine et Saint-Julien d’Arpaon. Le 6 mars suivant, il est baptisé à Notre-Dame de Vauvert, qui fait mémoire de cet événement.
En mars 1759, six mois avant sa mort dans les plaines d’Abraham, le marquis de Montcalm écrivait à M. de Bourlamaque, un de ses lieutenants :
« Quand serai-je au château de Candiac avec mes plantations, mon bois de chênes, mon moulin à huile, mes mûriers ? ».
Il avait quitté en 1756 sa « petite patrie » sur l’ordre du comte d’Argenson, ministre de la Guerre de Louis XV, et ne devait jamais la revoir.
Au XIXe siècle, Gaston Bouzanquet se souvient
Au XIXe siècle, le château n’appartenait plus à la famille Montcalm et rien, à part les plafonds armoriés, ne rappelait son glorieux passé. Bien que le souvenir n’en fût pas éteint, aucun signe tangible n’évoquait la mémoire du glorieux vainqueur de Carillon, alors que Québec avait multiplié les monuments commémoratifs à la mémoire du marquis de Montcalm et à celle du général Wolfe, son valeureux adversaire.
Mais, au moment où les relations avec le Canada, quasi interrompues depuis le Traité de Paris, en 1763, reprenaient, et qu’une convention commerciale était signée à Paris, le 19 septembre 1907, par Gaston Doumergue, avocat né à Aigues Vives, localité située près de Vauvert, ministre du Commerce et de l’Industrie, futur Président de la République, un de ses amis, un autre gardois, avocat, protestant et républicain comme lui – ce qui donne toute sa valeur à son engagement – Gaston Bouzanquet, né à Vauvert le 24 avril 1866, d’une vieille famille de propriétaires viticulteurs, déplore l’oubli dans lequel est tombé son compatriote, le marquis de Montcalm, dont il connaît bien l’épopée au travers des œuvres de l’abbé Casgrain, du poète Octave Crémazie et de Charles de Bonnechose, et décide d’élever à Vauvert, son pays natal, un monument qui honorerait « un tel héros, dont les Romains » dit le poète canadien Fréchette, « auraient porté les cendres au Capitole » et qui serait en même temps « un gage à jamais durable de l’antique solidarité de deux peuples issus de la même origine, parlant la même langue, imbus des mêmes traditions, en dépit de l’Océan qui les divise et des événements qui les ont séparés ».
Grâce à son ami le sculpteur Léopold Morice, né à Nîmes en 1846, et dont l’œuvre la plus célèbre est le grandiose monument de la place de la République à Paris, Gaston Bouzanquet va donner corps à son projet. Léopold Morice réalise un groupe « d’une impressionnante beauté » : « Montcalm est représenté frappé à mort, l’épée haute, défaillant sur le champ de bataille, mais retenu de la main droite par la Renommée, sous les traits d’une jeune femme aux ailes essorantes qui se penche au-dessus de lui et élève, de sa main gauche, au-dessus de sa tête, la couronne de lauriers que lui mérite son héroïsme ». Ce monument repose sur un piédestal en pierre blanche de Caen.
Très rapidement, l’idée d’édifier simultanément le même monument à Québec s’impose. En décembre 1907, un comité franco-canadien se constitue, dont est secrétaire et trésorier, à Québec, l’avocat Georges Bellerive, secrétaire général de « La Canadienne » de Paris, artisan zélé de l’amitié franco-canadienne, tandis qu’à Paris, Gaston Bouzanquet remplit les mêmes fonctions.
Un double monument à la gloire de Montcalm
À partir de ce moment, Gaston Bouzanquet, soutenu par Gaston Doumergue, va mobiliser pour son projet, les plus hautes autorités, civiles et militaires de l’État, et organise, avec Georges Bellerive, à Québec, et le poète William Chapman à Montréal, une vaste campagne de souscription, qui sera relayée pendant trois ans, par l’ensemble de la Presse nationale et internationale. Pour accompagner cette campagne de presse, une carte postale, vendue en France et au Canada sera éditée, des galas et des conférences seront organisés en faveur de l’œuvre du monument.
Crédit : L’oeuvre du monument de Montcalm
Au moment où le courant d’opinion était irrésistible et où la souscription montait chaque jour, Gaston Bouzanquet est confronté à un contexte politique difficile à Vauvert, qui refuse d’accueillir le monument. C’est le maire de Vestric et Candiac qui propose alors, que le monument soit érigé sur la place du village, devant le château qui avait aussi appartenu à la famille Montcalm. Les obstacles surmontés, la date d’inauguration est fixée au 17 juillet 1910.
Entre temps, le 2 mai, le double du monument est embarqué au Havre, à bord du vapeur « Le Sardinian ». Il arrive à Québec le 15 mai et exposé dans la salle du Manège militaire de la Grande Allée, avant que soit réalisé le piédestal en granit rouge du Nouveau-Brunswick.
L’œuvre du monument touche à sa fin et Gaston Bouzanquet va recueillir les fruits de sa ténacité et de sa capacité à communiquer. Le 17 juillet 1910, à 10 heures du matin, le monument au marquis de Montcalm est dévoilé en présence de M. Gaston Doumergue, sénateur du Gard et ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, de toutes les personnalités civiles et militaires du département, et d’une importante délégation canadienne conduite par l’honorable M. Dandurand, ancien président du Sénat.
L’année suivante, des fêtes grandioses se déroulent à Québec, et les Canadiens réservent un accueil enthousiaste et somptueux à Gaston Bouzanquet et à son beau-frère André Bourguet, député du Gard, qui représente la France au dévoilement du monument.
Reconnaissance de l’œuvre de Gaston Bouzanquet
Le souvenir le plus émouvant qu’ils garderont de leur séjour, sera leur visite aux Hurons de Lorette, qui conservent pieusement le souvenir de leurs relations avec Montcalm. Le Grand Chef, en tenue traditionnelle, remercie Gaston Bouzanquet d’avoir accepté son invitation, le félicite de l’œuvre des deux monuments à Montcalm, et lui indique, qu’en remerciement, il lui décerne l’honneur de chef honoraire des Hurons, avec le nom de « Teregatouan », ce qui signifie « Rayon de Soleil », puis lui remet un diplôme sur écorce de bouleau, bordé de cuir découpé, de Chef Huron.
Autre signe de reconnaissance : trois lacs, fort poissonneux, dans la région de la rivière Saint-Maurice, sont baptisés : « Bellerive », « Bouzanquet » et « Bourguet ».
Gaston Bouzanquet était arrivé à son but, qu’il résumait dans un dernier discours :
« Dans un enthousiasme qui me fit oublier que j’entreprenais une œuvre qui risquait d’être au-dessus de mes forces, et cédant aux exhortations des personnalités les plus autorisées, j’entrevis comme de réalisation fort simple, parce qu’elle me paraissait la plus juste et la plus noble, cette idée qui m’était suggérée : la constitution d’un comité franco-canadien, et l’érection de deux monuments strictement semblables : l’un sur le sol où Montcalm était né ; l’autre sur celui où il s’était sacrifié, martyr de sa foi en la Patrie ! ».