Les premiers Français au Québec
Introduction générale d’une toute récente publication d’Archives Cult
Gilbert Pilleul
Québec, ville en Amérique du Nord qui fête en 2008, le 400ème anniversaire de sa fondation par un Français, né en Saintonge, Samuel de Champlain.
Imaginons le fleuve Saint-Laurent large et majestueux. Nous sommes le 3 juillet au matin. Le soleil vient de se lever. Face au Cap Diamant, belle falaise dominant le Fleuve, une chaloupe s’avance en silence. A bord, quelques hommes d’équipage, des soldats aux aguets mais aussi des ouvriers et reconnaissable à son grand chapeau de feutre, Samuel de Champlain. La chaloupe est remplie jusqu’au bord de matériaux divers, de planches, de barriques, de sacs. Elle s’approche du rivage. On entend le fond frotter sur la berge au pied de la falaise. Samuel saute à terre, regarde autour : des arbres, des oiseaux dans le ciel. Il fait très beau. Tout l’équipage attend. Champlain lève son chapeau et s’écrie : c’est ici ! C’est ici que nous allons construire notre « Habitation »*. Nous l’appellerons Québec ! La belle et grande histoire de l’Amérique française était commencée.
Bientôt, de toutes les régions de France, des hommes et des femmes entassant leurs maigres biens sur un chariot, ont embarqué à La Rochelle et rallié « l’Habitation ». Animés par le goût de l’aventure, l’espoir d’un mieux vivre, ils ont prolongé par leur esprit d’entreprise et leur courage le geste fondateur de Champlain. L‘histoire de leur arrivée et de leur enracinement en Amérique du Nord est celle des premiers Français au Québec. Ce projet étonnant de créer là-bas une colonie de peuplement ne manqua pas de sussupr immédiatement la critique. Avec le soutien des marchands seulement préoccupés de profit immédiat, Sully avec la prudence du paysan exprima des réserves. Pourquoi un établissement durable ? Trêve de balivernes ! Un comptoir suffira. Il permettra de faire des profits rapides. On échangera des produits européens contre des fourrures et on pourra espérer faire assez de profits pour tenter l’aventure. Le mérite de Champlain, malgré les hésitations royales fut de privilégier le long terme et de jeter avec la fondation de Québec les bases d’un peuplement durable. On a critiqué ses orientations. Elles eurent le mérite en dépit de leurs inconvénients d’être porteuses d’avenir.
Pour assurer la viabilité de ce projet d’établissement permanent, Champlain commença par jouer le jeu des alliances. En s’alliant à des tribus indiennes ennemies des Iroquois, il engagea les Français dans ces rivalités indiennes qui existaient depuis longtemps. Plus tard, les Anglais se retrouvèrent du côté des Iroquois. Jusqu’à la grande paix de Montréal en 1701, signée par toutes les nations indiennes, dont les Iroquois, et les Français, l’hostilité iroquoise pesa lourd dans l’histoire de la Nouvelle-France. Mais sans cette alliance, la construction d’une Habitation à Québec, au point de départ d’un pays à construire, eût été impossible.
Alliance source de polémique mais alliance fondamentale. Elle a donné à la présence française toute sa spécificité. Champlain a fait « tabagie» (un repas) et « pétuné » (fumé) avec les Indiens. La différence de culture et de mode de vie n’interdit pas le dialogue et le respect. Plus tard, par la bouche de Colbert, la royauté encouragea le mariage des Français avec les Amérindiennes, sous réserve de se convertir au catholicisme et de parler français. L’avenir de la colonie par le métissage était décidé sans que cela parût scandaleux. Déjà de nombreux Français, « les coureurs de bois », avaient adopté le mode de vie amérindien. L’arrivée des colons français fut irrégulière et lente mais le mouvement était né. La monarchie accepta sans excès de le soutenir. A la fin du 17ème siècle, il y avait déjà un peuple canadien et une conscience collective distincte de celle des Français de France.
Il fallait ensuite que Champlain se donne les moyens d’agir en trouvant des ressources régulières pour que vive la colonie. Les moyens financiers de Du Gua de Mons assurèrent les premières expéditions sous condition d’avoir le monopole de la traite des fourrures. Le monopole n’eut qu’un temps. La royauté céda sous les coups de butoir des marchands qui, partisans de la liberté de la traite des fourrures, obtinrent satisfaction. Champlain dut répondre aux exigences des marchands regroupés en compagnies mais ne renonça pas à ses objectifs. Ce fut donnant-donnant : ballots de fourrure contre envoi de colons. Il fallut récolter encore plus de fourrures, agrandir le territoire de la traite et élargir le cercle des alliances. Ce combat pour avoir les moyens d’agir sera le combat de toute sa vie, multipliant les voyages entre la France et le Canada, parcourant toujours plus loin l’espace canadien jusqu’aux grands lacs ou Pays d’en haut.
Mais pas de colonie de peuplement sans participation des autorités politiques et religieuses, étroitement associées sous la monarchie. La mort de Henri IV impose à Champlain, issu d’un milieu protestant, la décision définitive de faire appel à l’église catholique. Dès 1615, les premiers Récollets sont à Québec en attendant l’arrivée des Jésuites en 1625. La colonie sera catholique ou ne sera pas. Champlain l’a compris. Richelieu confirme en interdisant la Nouvelle-France aux Huguenots. On y a vu une erreur. Mais comment s’opposer alors au vent de la Contre-réforme qui souffle sur la France du milieu du 17ème siècle ? Ville-Marie, qui deviendra Montréal, doit son origine au milieu du siècle à la ferveur mystique de quelques dévots. Déjà, la présence des Jésuites avait intensifié les campagnes d’évangélisation des Indiens dont il faut sauver les âmes de l’enfer.
A la mort de Champlain, qui ne fut jamais que le lieutenant de quelque Grand, Richelieu en dernier, Huault de Montmagny de l’ordre de Malte est nommé gouverneur, représentant du roi. Le pouvoir politique est en place. Louis XIV crée le Conseil souverain et la Nouvelle-France devient colonie royale. Quant au peuplement il était lancé. En 1663, la Nouvelle-France a environ 2500 colons. On pourrait s’en satisfaire car les obstacles n’ont pas manqué mais c’est peu : à la même date, il y a déjà 80 000 colons en Nouvelle-Angleterre ! La fin brutale de la Nouvelle-France est dans ces chiffres. En dépit de tous les efforts, le fossé démographique ne cessera de se creuser et sous cet angle, la mise en cause de la stratégie de Montcalm en 1759 ne suffit pas à expliquer la défaite des Plaines d’Abraham. Les Anglais voulaient la Nouvelle-France. Les Français de France préféraient les Antilles. Une guerre perdue disait un théoricien militaire est une guerre que l’on croit perdue. Ici, nous pourrions dire : que l’on n’a pas voulu gagner. En conséquence, les Canadiens français et leurs alliés amérindiens qui s’étaient tous bien battus, usant des techniques locales de guérilla, devinrent des sujets britanniques.
Commence pour les Canadiens une nouvelle histoire parfois dramatique comme en Acadie, histoire d’un combat pour la survivance dans lequel les identités canadiennes-françaises s’affirmèrent avec les encouragements de l’église. La Mère-patrie les avait abandonnés mais ils resteraient catholiques et de langue française. Lente maturation, enracinement dans un espace qui devient territoire, conduisant comme en pelures d’oignon au cœur de l’identité. D’abord Français du Canada, puis Canadien, le Canadien français est devenu Acadien, Franco-canadien, Québécois. Le pionnier français s’est dit et se dit aujourd’hui américain mais américain francophone. Tout en s’adaptant aux réalités du Nouveau Monde, il a conservé le souvenir de ses origines. Au Québec, en particulier, il est le représentant, le témoin sur le continent nord-américain d’une strate française mêlée au socle amérindien. Les vagues anglo-saxonne et européenne du XIXème siècle ont ensuite tout recouvert ou presque, laissant subsister quelques îlots et un espace majeur, celui du Québec.
1759, date capitale dans l’histoire de l’Occident et pourquoi non ?, du monde. La guerre de Sept ans, première guerre mondiale pour certains, durant laquelle nous nous battîmes pour le roi de Prusse nous fit négliger la « French and Indian War ». Les visions à courte vue nous empêchèrent de mesurer l’importance géostratégique des « arpents de neige ». Mais sur ces « arpents », un pays était né, un peuple vivait et c’est à l’histoire de sa vie quotidienne que nous accordons toute notre attention.
Nous disions qu’il y avait eu un déficit dans le peuplement de la Nouvelle-France. Il serait trop long d’en signaler ici les principales causes. Remarquons seulement qu’un émigrant sur trois est resté, les deux autres souvent au bout de leur engagement de trois ans sont revenus. Pourquoi ce retour ? Déception ? Echec ? Option prise dès le départ de revenir et que les conditions sur place n’ont pas modifiée ? Plusieurs textes dans cet ouvrage permettent de se faire une opinion à ce sujet. Parlons de ceux qui sont restés : 10 000 en tout qui au bout d’un siècle et demi forment en 1760 une population de 70 000 Canadiens. 10 000 pionniers célibataires qui, en raison du déficit de femmes ont souvent épousé une « fille du roi », Certains étaient arrivés avec leur famille. Parmi eux, il y avait des engagés pour trois ans, des artisans, des militaires. Et tous ces hommes et toutes ces femmes encadrés par l’église ont fait souche.
Leslie Choquette1 a montré que contrairement à une idée reçue, ces premiers Français étaient dans leur grande majorité des hommes et des femmes issus des centres urbains ou des régions aux communications faciles, le long des fleuves, sur les côtes de la Manche ou de l’Atlantique sans pour autant oublier des régions plus éloignées comme La Provence ou la Champagne. Là, par divers réseaux d’information, ils entendirent parler de la Nouvelle-France et mesurèrent les services qu’ils pouvaient y rendre par leur compétence professionnelle (artisans, ingénieurs, médecins, juristes). Au total, non pas des miséreux ou vraiment très peu, mais des gens capables de mobilité et d’initiative. Non pas des paysans attachés à la terre mais des Français tournés vers les possibilités que les débuts d’une première mondialisation, d’une ouverture au monde, mettaient à leur disposition. Entre les assurances de la tradition et les risques de la modernité, ils ont choisi la voie qui semblait leur donner les meilleures promesses d’avenir, celle qui ne renonçait ni à l’une ni à l’autre.
Sur place, ces hommes et ces femmes venus de France eurent le choix entre deux options fondamentales : partir vivre autrement en forêt ou rester au bord du fleuve, en famille au sein de la paroisse. Il y eut des aventuriers, « des coureurs de bois » mais aussi et surtout des « habitants ». Bipolarité des choix de vie qui n’a jamais disparu. Si la plupart se sont fixés au Québec, un nombre non négligeable a émigré aux quatre coins de l’Amérique du nord perdant les traits distinctifs de leur identité. Par contre, ceux qui sont restés, ce sont les Québécois, c’est-à-dire ceux qui poursuivent leur destin en Amérique sans oublier les combats de leurs ancêtres qui ont toujours gardé la mémoire de leurs origines.
* Les mots avec l’astérisque trouvent leur explication dans l’ouvrage.