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L’histoire de la Nouvelle-France, oubli ou occultation

L’histoire de la Nouvelle-France, oubli ou occultation

 

par Jacques Mathieu
Professeur d’histoire
Université Laval

L’intitulé de cette table ronde (11e Rendez-vous de l’histoire, Blois – 9 au 12 octobre 2008), qui risque de raviver la perception d’une Nouvelle-France abandonnée au moment de la guerre de Sept Ans et de sa cession à la Grande Bretagne, place un Québécois dans une position délicate. Il serait aventureux de tenter de cerner adéquatement la place de la Nouvelle-France dans la perception française actuelle. Je retiens cependant le fait qu’il importe de distinguer les différentes formes d’expressions de cette présence, qu’elle soit étatique, nationale, régionale ou locale, le fait d’universitaires ou d’érudits locaux, tels les généalogistes. Il en découle une grande variété de connaissances et d’attachements qui président à la définition de mécanismes de médiation entre la raison nationale et les perceptions populaires.

I Un aperçu des relations actuelles

Un bref aperçu des relations actuelles conduit à une comparaison des situations de la France envers la Nouvelle-France et du Québec en regard de la francophonie nord-américaine et à la proposition de pistes d’avenir. Je retiens quatre éléments principaux dans ce survol.

En 1981, à l’invitation de François Lebrun et de la maison Belin, j’ai publié une synthèse d’histoire de la Nouvelle-France. Je me rappelle m’être interrogé assez longuement sur le sous-titre à retenir. J’ai consciemment choisi « Les Français en Amérique du Nord XVIIe-XVIIIe », à la fois pour ne pas me confiner à la vallée du Saint-Laurent et pour insister davantage sur la façon dont ce territoire avait été investi par des Français plutôt que de choisir un titre à la gloire de la France et de son expansion coloniale. En somme, dans ma perception de l’époque, ce sont les Français qui ont fait la Nouvelle-France.

D’ailleurs, l’éventail des relations récentes entre les deux contrées illustre bien ces sensibilités françaises, qu’elles soient universitaires ou locales. Que l’on pense aux travaux initiés par Joseph Goy et Jean-Pierre Wallot dans les années 1980 et donnant lieu à des colloques thématiques franco-québécois annuels, aux initiatives de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs dont Philippe Joutard a été un artisan et un partisan engagé, aux nombreuses activités locales ou régionales de commémoration en lien avec l’histoire et la généalogie. Les exemples sont multiples : l’exposition de la Tour-de-la-Chaîne à La Rochelle, l’inventaire des traces du passé entre le Québec et la région de Poitou-Charente, le Musée de l’émigration française à Tourouvre, le grand congrès des historiens français tenu à Québec, les commémorations à Toulon, à Châlons-en-Champagne, dans la Haute-Marne, l’entreprise de Villes et villages de France, la collaboration de la France à la création d’un Centre de la francophonie des Amériques à Québec, sans oublier cette présence du Québec comme invité d’honneur au rendez-vous de l’histoire, ici même à Blois, etc. Il y a à l’évidence chez un grand nombre de Français un intérêt, une sensibilité, une volonté de partage d’une histoire, d’une culture et de valeurs communes ; une forme de réappropriation de ce passé.

Certes, il ne faut tout de même pas négliger les efforts et les investissements de la France envers la francophonie qui s’incarnent dans le soutien financier à des organismes internationaux. Il semble cependant que les retombées concrètes et les effets mobilisateurs souffrent d’un sérieux manque de visibilité.

Le contexte de la commémoration du 400e anniversaire de la fondation de Québec a largement contribué à mieux faire connaître la vitalité québécoise actuelle de l’ancienne Nouvelle-France. Une prolifération d’activités se sont inscrites dans un contexte de commémoration et dans une perspective de valorisation, à la fois politique, scientifique, sociale et culturelle, de traces du passé en fonction des enjeux du présent pour concevoir un devenir.

Pourquoi donc la Nouvelle-France n’a-t-elle jamais réussi à faire partie du roman national français ? C’est surprenant, tellement il y a de points de convergence ; que l’on pense par exemple aux situations comme :

  • l’intérêt généalogique et familial relatif à la provenance des ancêtres ;
  • l’héritage et la vitalité de la langue et de la culture françaises sous toutes ses formes ;
  • le nombre de francophones et de francophiles en Amérique du Nord ;

et plus récemment,

  • les prises de position sur la guerre en Irak ;
  • les notions d’exception culturelle aménagées en concept de diversité culturelle soutenues par le Québec ;
  • l’idée d’une francophonie plurielle, etc.

Il y a là un paradoxe. Dans des perspectives scientifiques et mémorielles, et donc sensibles et actuelles, l’évocation de la Nouvelle-France et des descendants de Français en Amérique est passablement présente en France. Or, c’est comme s’il y avait une mémoire, des sensibilités associées à des sentiments d’appartenance et de partage d’identité, des connaissances historiques structurées, organisées et diffusées, mais une absence quasi totale dans le système d’enseignement.

La transposition de cette question dans l’espace nord-américain procure un effet miroir aux interrogations de cette table en comparant la situation de la France à celle du Québec. La question pourrait se définir en deux temps :

  • La France est notre mère-patrie, une référence incontournable pour nous. L’inverse est-il aussi vrai?
  • Québec est le berceau de la francophonie nord-américaine. À toutes fins utiles, le berceau comporte les mêmes connotations référentielles que la mère-patrie. Pour la diaspora francophone nord-américaine, Québec, c’est un peu la mère-patrie.

 

II La francophonie nord-américaine

Les attitudes et comportements du Québec en regard de la francophonie nord-américaine sont-ils différents? Quelle place ces communautés francophones issues de la Nouvelle-France occupent-elles dans l’histoire du Québec? Certes, l’on a une bonne idée des migrations. Quelques chercheurs ont produit des ouvrages remarquables sur l’immigration et sur les différentes communautés francophones d’Amérique du Nord. Mais les gouvernements, à travers leurs ministères, se préoccupent-ils vraiment de la francophonie, de la vie des francophones en dehors du Québec? Et l’examen des programmes d’enseignement et de formation des jeunes, notamment en histoire et à tous les niveaux, montre également un énorme déficit de connaissances.

En ce sens la situation en France et au Québec est à maints égards comparable. Y a-t-il quelque chose à faire? Quoi? Comment? Quels liens est-il possible de concevoir entre les intentions et les projets gouvernementaux et la vie concrète dans les communautés francophones?

 

 

III Une piste d’avenir

Il est fort intéressant de noter,

  • d’une part, que la thématique de ce salon soit axée sur « Les Européens », dont un des aboutissements pourrait être d’écrire l’histoire de la France comme celle d’une région de l’Europe ;
  • d’autre part, qu’en même temps, le Québec soit l’invité d’honneur de ce salon.

Cette cohabitation indique bien, je crois, jusqu’à quel point nous sommes dans un monde complexe et en mutations majeures. Elle suscite plus de questions que de réponses.

La commémoration du 400e de Québec a suscité de très nombreuses manifestations ponctuelles de solidarité, mais aura-t-elle des suites concrètes?

La culture est devenue un enjeu majeur dans un contexte de mondialisation, de transmission d’héritage et de valeurs, ainsi que de surabondance d’informations par Internet.

La France et le Québec ont un passé commun, des valeurs partagées et des aspirations convergentes. À bien des égards, leur situation se compare :

  • La francophonie nord-américaine n’existerait pas s’il n’y avait pas le Québec ;
  • La francophonie internationale fonde la puissance de la voix de la France sur l’échiquier mondial.

Il n’est pas possible d’y rester indifférent. Il importe donc d’innover pour assurer l’avenir de la francophonie. Et je ne vois pas cette idée ou cette orientation comme un devoir de mémoire, mais plutôt comme un potentiel porteur d’avenir, soit un moyen :

  • d’affirmation contre l’uniformisation culturelle et
  • de mettre en évidence des éléments fondamentaux de notre identité.

Il faudrait donc concevoir une idée nouvelle, mobilisatrice, contributive à cette identité francophone, à la fois une et plurielle, qui assure une cohérence de pensée et une cohésion dans l’action. Quelques éléments président à l’affirmation d’une telle francophonie à la fois transnationale et culturelle :

  • L’histoire est le réservoir de la mémoire. Elle fonde les ancrages mémoriels. Elle permet l’approfondissement des points de convergence. Elle favorise le dialogue, le partage et l’enrichissement mutuel.

Dans l’immédiat un plan d’action tout simple devrait permettre de progresser dans la bonne direction :

  • Renforcement des réseaux francophones ;
  • Renforcement du système de connaissances ;
  • Développement d’actions éducatives intégrées.

Fille de son temps, l’histoire sera présente dans les lendemains de la mondialisation ; ainsi doit-il en être de la francophonie. Serait-il temps de mettre de l’avant un grand projet de faire l’histoire des Français?

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