L’ordonnance de Villers-Cotterêts
(Août 1539)
par Françoise Hildesheimer
Conservateur en chef à la Section Ancienne
Archives nationales de France
La France a connu plusieurs mouvements de réformation du royaume jalonnés par les ordonnances de 1254, 1303, 1356, 1413, 1439, 1539 (Villers-Cotterêts), 1561 (Orléans), 1566 (Moulins), 1579 (Blois) qui traitent essentiellement de la réforme de la justice, premier attribut de la puissance du roi. L’idée que la justice constitue la fin véritable de l’autorité souveraine, donc le fondement de l’autorité royale, avait en effet pour conséquence directe une gestion essentiellement judiciaire de l’État : les agents du roi furent d’abord les juges qui ont également des fonctions de « police » (d’administration), le premier réseau administratif est judiciaire, et l’action administrative s’opère par le canal de procédures judiciaires; les grandes ordonnances dites de réformation sont donc naturellement consacrées à l’exercice de la justice.
L’« ordonnance générale sur le fait de la justice, police et finances » a été prise par François Ier en août 1539 à Villers-Cotterêts (dans l’actuel département de l’Aisne) « pour aucunement pourvoir au bien de notre justice, abréviation des procès, et soulagement de nos sujets ». Ses 192 articles ont été rédigés par Guillaume Poyet, chancelier de France de 1538 à 1542 (ce qui fait qu’elle est parfois connue sous le nom de Guilelmine). Ordonnance de réformation de la justice, elle contient des dispositions relatives à la compétence des tribunaux (avec visée de restriction de la juridiction des cours ecclésiastiques), à la procédure civile et pénale (renforcement du caractère secret de la procédure inquisitoire notamment), aux formalités judiciaires… C’est par ce biais qu’elle touche indirectement au droit des personnes, un domaine dans lequel la législation royale ne s’aventure guère directement, en laissant le terrain aux coutumes et à la législation canonique; ce très progressif investissement du droit privé par la loi du roi est à mettre en relation avec le développement contemporain d’une conception « absolutiste » de l’État qui se fait à travers la définition contemporaine, par Jean Bodin, de la souveraineté indivisible dévolue au roi.
L’ordonnance de Villers-Cotterêts est essentiellement connue par ses articles 50 et 51 qui posent les fondements du futur service public de l’état civil en prescrivant aux curés la tenue de registres de baptême et de sépulture (« Art. 51. – Aussi sera fait registres, en forme de preuve, des baptêmes, qui contiendront le temps et l’heure de le nativité, et par l’extrait dudict registre, se pourra prouver le temps de majorité ou minorité, et sera pleine foy à ceste fin. Art. 52. – Et afin qu’il n’y ait faute auxdits registres, il est ordonné qu’ils seront signés d’un notaire, avec celui desdicts chapitres et couvents, et avec le curé ou vicaire général respectivement, et chacun en son regard, qui seront tenus de ce faire, sur peine des dommages et intérêts des parties, et de grosses amendes envers nous. »), et, davantage encore, par ses articles 110 et 111 interdisant l’usage du latin comme langue judiciaire et juridique et prescrivant que « tous arretz ensemble toutes autres procédeures, soyent de noz cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, soyent de registres, enquestes, contractz, commissions, sentences, testamens et autres quelzconques actes et exploictz de justice, ou qui en dépendent, soyent prononcez, enregistrez et délivrez aux parties en langage maternel françois, et non autrement. »
La portée de cet article particulièrement concis mérite d’être cernée avec précision. Il s’inscrit dans une suite de décisions royales visant à remplacer le latin par les langues vulgaires pour la rédaction des coutumes et des actes de justice (ordonnances de Montils-lès-Tours de 1454, de Moulins en 1490…). Précisons bien qu’il ne s’agissait en rien de préfigurer la politique à venir de la Révolution et d’imposer le français à l’ensemble du royaume en en extirpant les langues nationales, puisque cette disposition ne concernait que la langue du droit et de l’État sans aucune incidence sur les pratiques linguistiques d’ordre privé pour lesquelles la diversité a prévalu jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
En ce qui concerne l’état civil, il faudra attendre l’ordonnance de Blois en 1579 pour que l’enregistrement des naissances, mariages et décès soit prescrit de manière générale, conformément aux dispositions contemporaines du Concile de Trente.
On connaît deux expéditions originales de l’ordonnance de Villers-Cotterêts (Archives départementales de l’Isère, B 3189 et Archives départementales des Bouches-du-Rhône, B 8315) ; elle fut enregistrée par le parlement de Paris le 6 septembre 1539 (Archives nationales, X1A 8613, fol. 182 v°-198). On en trouvera l’édition scientifique dans : Académie des Sciences morales et politiques. Ordonnances des Rois de France. Règne de François Ier, tome IX, 3e partie, mai-août 1539, Paris, Éditions du CNRS, 1983, p. 650-628. Une publication sur parchemin est accessible dans la base Archim des Archives nationales.
On en trouvera aussi le texte sur ce site.