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Un explorateur cartographe en Amérique : Samuel Champlain (1598 -1632)

Un explorateur cartographe en Amérique :
Samuel Champlain (1598 -1632)

 

 

par Raymonde Litalien
Conservateur honoraire des Archives du Canada

 

Mandaté d’abord comme observateur, Champlain s’affirme aussitôt comme explorateur puis comme commandant et administrateur du poste de Québec. Son « journalier », en plusieurs volumes, fourmille de renseignements géographiques, ethnologiques, zoologiques et botaniques, souvent reportés sur des dessins et des cartes, les plus détaillées encore jamais réalisées de l’Amérique du Nord.

 

Avec le récit remis à l’amiral François Aymar de Chaste, d’une première mission secrète dans les Antilles et au Mexique, de 1599 à 1601, Champlain révèle son talent d’investigateur et de dessinateur. C’est ainsi qu’il s’embarque vers Tadoussac en 1603 sur le navire commandé par François Gravé du Pont, un Malouin bien au fait des voyages de pêche et de traite au Canada. Grâce aux deux Indiens présents sur le navire, lors de la traversée de l’Atlantique, Champlain est probablement en mesure de communiquer avec ceux de la famille algonquienne, ses hôtes du 26 mai au 11 juillet. Avec eux il remonte le Saguenay sur une cinquantaine de kilomètres, apprend l’existence d’une mer salée au nord et en déduit qu’il s’agit non pas de la « mer d’Asie », mais de l’un de ses débouchés. En 1603, sept ans avant la découverte anglaise, Champlain localise la mer intérieure qui sera nommée baie d’Hudson. Il explore ensuite le fleuve Saint-Laurent appelé encore « rivière de Canada » et y nomme quelques lieux, dont le lac Saint-Pierre et la rivière Richelieu, ou « rivière des Iroquois ». Comme Jacques Cartier, il se rend à Hochelaga où le « sault Saint-Louis » (rapides de Lachine) interrompt sa progression. Avec les Indiens, il arrive à reconstituer le réseau des Grands Lacs tout en se laissant irrésistiblement persuader que la « mer d’Asie » n’est pas loin. Sur le chemin du retour vers Le Havre, Champlain rencontre, en Gaspésie, un autre Malouin, Jean Sarcel de Prévert, qui lui parle de l’Acadie en des termes qui pourraient faire croire en la présence de mines et d’une ouverture vers l’Asie. Le rapport remis au duc de Montmorency, intitulé « Des Sauvages », est immédiatement publié (1603). Il consacre l’identité d’explorateur du Saintongeois, la justesse de ses observations et dresse le scénario des expéditions à venir.

 

De nouveau, en mars 1604, Champlain est autorisé par Henri IV à accompagner les fondateurs d’une nouvelle colonie. Il y reste trois années entières. Avec le lieutenant général de l’Acadie, Pierre Dugua de Monts, il explore le sud de l’île Sainte-Croix, la côte et les fleuves, parfois jusqu’à quatre-vingts kilomètres en amont, contournant les baies jusqu’à Mallebarre (Nauset Harbour) au sud du cap Cod, désigné ainsi par le capitaine anglais Bartholomew Gosnold en 1602. Tout le périple, soit plus de mille cinq cents kilomètres, est ainsi fidèlement rapporté, sous forme d’estimation des distances et des latitudes ainsi que de descriptions diverses, consignées d’abord sur une carte « selon son vray méridien » datée de 1607, puis dans son rapport présenté au roi de France et publié en 1613. Jamais les récits de voyages sur le littoral atlantique nord-américain n’avaient atteint un tel luxe de renseignements écrits ou représentés en dessins et en seize cartes et plans.

 

À partir de 1608, Champlain assure la fonction de lieutenant de Pierre du Gua de Monts et installe la petite colonie à Québec. De là, il reprend l’exploration du Saguenay et de ses environs. Les autochtones rencontrés lui confirment l’existence d’une « grande mer salée » à quarante ou cinquante jours de voyage au nord de Tadoussac. L’explorateur suppose avec raison qu’il s’agit de la baie partiellement explorée par les Anglais mais ses guides refusent de poursuivre au-delà de Chicoutimi.

 

L’année suivante, en 1609, en échange d’informations sur d’hypothétiques mines de cuivre et pour satisfaire à un engagement pris envers ses alliés Montagnais, Champlain doit retourner au cœur de l’Iroquoisie jusqu’à Crown Point, au sud du lac auquel son nom sera attribué. Un coup de force est réussi grâce à la supériorité des arquebuses sur les flèches iroquoises, à la grande satisfaction des Indiens amis. Par ce voyage sur la rivière Richelieu, Champlain élargit la carte de la Nouvelle-France et inaugure une route qui va devenir, pendant deux siècles, une voie stratégique pour les Européens. Le lac Champlain serait le « grand Lac » que les colons de la Nouvelle-Angleterre situent dans une province imaginaire « la Laconie » et qu’ils cherchent en vain jusqu’aux années 1630. Champlain se trouve donc dans une région convoitée et il n’est pas seul à suivre le cours de ces voies d’eau. Il quitte la rivière Richelieu le 30 juillet alors que le 4 septembre de la même année 1609, un peu plus au sud, à Newe Amsterdam (New York), l’Anglais Henry Hudson, avec une commission de la Hollande, remonte vers le nord jusqu’à Albany par le fleuve qui portera son nom et introduit ainsi la domination hollandaise dans une région qui échappera toujours à l’influence française. Sur l’archipel de Montréal où il se trouve en 1611, Champlain ne cache pas son émerveillement et imagine l’existence d’une ville sur la plus grande des îles. Celle qui est la plus proche du meilleur havre est nommée Sainte-Hélène, en l’honneur de sa jeune épouse Hélène Boullé récemment convertie au catholicisme. A l’ouest de Montréal, premier Européen à réaliser un tel exploit, il franchit les rapides du saut Saint-Louis en canot, ce qui rehausse considérablement son prestige vis-à-vis les Indigènes.

 

Le bilan du parcours exploratoire est présenté dans une seconde publication, en 1613, « Les Voyages du sieur de Champlain Xaintongeois capitaine ordinaire pour le Roy en la marine ». Par cet ouvrage, Champlain se révèle vraiment géographe et marin, s’attachant à la description des « costes, rivières, ports, havres, leur hauteur et déclinaisons de la ligne-aymant ». Les observations sont confirmées par de nombreuses cartes de détail, ainsi que par deux cartes générales. Conséquemment, Champlain reçoit un pouvoir plus étendu, celui de lieutenant du prince de Condé, vice-roi de la Nouvelle-France. En plus du commandement de la colonie, sa mission est de « découvrir et chercher chemin facile pour aller au païs de la Chine …par dedans les rivières et terres fermes dudit pays, avec assistance des habitants d’icelles ».

 

Fort de son nouveau mandat, Champlain entreprend des explorations en direction du « pays des Hurons ». Entre 1613 et 1616, il ajoute à la connaissance plus de mille kilomètres d’une région encore très peu fréquentée par les Européens. Du saut Saint-Louis, il remonte la rivière des Outaouais, partie de la grande route commerciale vers les « pays d’en-haut », traverse une série de lacs jusqu’à l’île aux Allumettes, à la hauteur de l’actuel Petawawa, en Ontario, atteint ensuite la rivière Mataouan, puis, par le lac Nipissing et, par la rivière des Français, parvient à la « mer Douce » ou lac Huron.

 

Champlain est enfin chez les Hurons où il arrive en plein été, le ler août 1615. Il ne tarit pas d’éloges sur ce pays dont la beauté et la fertilité dépassent ses attentes : « Le long du rivage, il semble que les arbres aient été plantés par plaisir en la plupart des endroits ». Pendant son séjour, qui s’étend sur tout l’automne et l’hiver, il accompagne les Indiens à la chasse et a tout le loisir « pour considérer leur pays, moeurs, coûtumes et façons de vivre ». Il se rend aussi au lac Simcoe, traverse l’extrémité orientale du lac Ontario, visite les Pétuns au sud de la baie de Nottawasaga et les Cheveux-Relevés au sud de la baie Georgienne. Cependant, il n’obtient guère plus de renseignements sur la « mer d’Asie » où on refuse de l’y conduire malgré ses demandes expresses.

 

A son retour à Québec, Champlain trouve un précieux émissaire en la personne d’Etienne Brûlé déjà familier de la Huronie. En effet, en 1610, à l’âge de 18 ans, il est échangé contre un jeune Huron, envoyé en France et nommé Savignon. Brûlé va jusqu’au lac Supérieur, voit probablement le lac Erié et voyage au sud de l’Iroquoisie, dans la région de la rivière Susquehanna (Etat de la Pennsylvanie). Toutes les observations que Champlain peut recueillir sont reprises dans les « Voyages et descouvertures faites en Nouvelle France depuis l’année 1615 jusques à la fin de l’année 1618 » publiés en 1619.

 

Après le séjour de 1615 -1616 aux « pays d’en-haut », Champlain renonce, semble-t-il, à s’adonner lui-même aux explorations mais continue de recueillir des informations géographiques auprès des missionnaires et de certains « donnés » comme Jean Nicollet. Dorénavant, le lieutenant du vice-roi va s’attacher exclusivement au gouvernement de la Nouvelle-France, dans l’espoir de la doter de structures administratives et commerciales susceptibles d’assurer son autosubsistance. Jusquelà, Champlain a mené trois objectifs de front : fonder une colonie, structurer le commerce des fourrures et explorer le territoire en vue de trouver un passage vers la « mer de l’Ouest ». Le triple défi qu’il s’est fixé a été partiellement relevé mais la Nouvelle-France souffre déjà de gigantisme. Sa croissance en étendue a été trop rapide. La colonie manque d’ossature et trop dépendante d’un commerce des fourrures insuffisamment contrôlé. Les vingt années suivantes sont une véritable lutte pour la survie, non seulement pour atteindre une autosuffisance économique mais aussi pour faire obstacle à l’ambition conquérante des Anglais. En 1629, après la prise de Québec par les frères Kirke, Champlain rejoint l’ambassadeur de France en Angleterre pour démontrer, carte à l’appui, l’importance géopolitique du Canada et plaider le retour de la colonie à la France. Ses arguments sont convaincants et, par le Traité de Saint-Germain-en-Laye (1632) Québec redevient français. Avant son dernier retour à Québec, Champlain résume son action dans une nouvelle édition des « Voyages », en 1632. L’ouvrage est complété par une magnifique carte, somme des connaissances acquises sur la Nouvelle-France et par le « Traitté de la marine et du devoir d’un bon marinier », discours méthodologique et véritable bilan de vie « après avoir passé trente huict ans de mon aage à faire plusieurs voyages sur mer et couru maints perils et hasards … à la fin de mes descouvertures de la nouvelle France Occidentale, faire un petit traité intelligible et proffitable à ceux qui s’en voudront servir ». L’une des capacités exigées d’un bon marinier est de « Scavoir faire des cartes marines, pour exactement recognoistre les gisements des costes, entrées des ports, havres, rades rochers, bans, escueils, isles, ancrages, …despeindre les oyseaux, animaux et poissons, plantes… et tout ce que l’on voit de rare, en cecy un peu de portraiture est très nécessaire, à laquelle l’on doit s’exercer ». Les réalisations de Champlain ont déjà largement prouvé le bien-fondé de ces principes qu’il a appliqués tout au long de sa vie.

 

Au total, Champlain rend compte, par ses vingt-trois cartes et multiples dessins, d’environ 4 300 milles kilomètres de territoire côtier. Il laisse six récits de voyages, véritable inventaire de la nature et de la population indigène. Là encore, Champlain est novateur : en effet, la diffusion des explorations est loin d’être courante chez les marins et les explorateurs, qui ont plutôt tendance à garder le secret sur les résultats de leurs voyages afin de ne pas alimenter la convoitise des concurrents et ennemis. Non seulement Champlain réussit à parcourir et à explorer un immense territoire mais il sait aussi en parler. Ses livres sont de véritables ouvrages techniques issus d’un esprit scientifique.

 

Pour en savoir plus

R. Litalien et D. Vaugeois, Champlain : La Naissance de l’Amérique française http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/Livre.asp?id=2260, Québec et Paris, Septentrion et Nouveau Monde éditions, 2004.
R. Litalien, Jean-François Palomino, D. Vaugeois : La Mesure d’un continent http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/Livre.asp?id=2129. Atlas historique de l’Amérique du Nord, Paris/ Québec, Presses de l’Université Paris-Sorbonne/Septentrion, 2007.
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