Un territoire de légendes
La nature du Québec est riche en sites singuliers
qui ont suscité d’originales constructions de l’esprit
Par Yvon Larose
Le Fil, vol. 48, n° 10, 15 novembre 2012
L’étrange champ de roches rondes comme des pommes de terre à Rigaud, la Forêt enchantée du lac Témiscamingue et ses arbres au tronc tordu, la Roche pleureuse de l’Isle-aux-Coudres avec ses gouttes d’eau qui perlent… Ce sont là autant de lieux géographiques particuliers qui ont donné naissance, au Québec, à des légendes.
Le 30 octobre 2012, au Montmartre canadien de Québec, le chargé de cours Henri Dorion, du Département de géographie, a présenté une dizaine de ces sites singuliers lors d’un exposé faisant partie des Grandes Conférences du mardi de la Direction générale de la formation continue. Sa présentation s’inspirait de son livre Lieux de légendes et de mystère du Québec, paru aux Éditions de l’Homme.
Le champ de roches du village de Rigaud
Une légende raconte qu’un cultivateur, venu s’établir dans le village de Rigaud pour y faire pousser des pommes de terre, a constaté, du jour au lendemain, que les patates qui poussaient dans son champ étaient changées en roches rondes. Le Bon Dieu l’avait puni pour avoir travaillé sur sa terre sept jours par semaine, en oubliant que le dimanche est fait pour prier.
« L’explication scientifique, indique Henri Dorion, est que le champ de roches est la conséquence d’un glacier. Celui-ci, en s’avançant, a arraché des blocs de pierre du socle rocheux, les a roulés en les mélangeant au sable et au gravier et les a déposés au flanc des collines. Plus tard, le vent et l’écoulement des eaux de surface ont évacué le sable, révélant un champ de roches. »
Qu’il s’agisse de la Tête de l’Indien, de la Griffe du Diable ou de la Caillasse d’enfer, les phénomènes présentés par Henri Dorion sont souvent en lien avec les formations rocheuses. « Il arrive souvent que la légende voie dans ces formes des personnages qui auraient été transformés pour l’éternité, constate-t-il. Elle y fait référence plus souvent qu’aux arbres, par exemple, qui n’ont pas de caractère permanent. »
La Forêt enchantée sur les bords du lac Témiscamingue
Une exception est la Forêt enchantée, un boisé de cèdres sur les bords du lac Témiscamingue. Le cèdre pousse normalement bien droit. Or à cet endroit les troncs, et surtout leur base, présentent des torsions bien visibles. Selon la légende, chaque arbre renfermerait l’âme inquiète et souffrante d’un Amérindien mort au combat au temps de la colonie.
L’explication scientifique, selon Henri Dorion, se trouve dans la proximité du lac. « Cette proximité, précise-t-il, soumet les jeunes pousses des arbres à l’action du vent changeant et constant. Le vent a beau jeu d’imprimer aux pousses des inclinaisons successives que leur croissance n’a pas modifiées. »
Selon lui, les légendes ont souvent pris naissance devant un rocher qui ressemblait à s’y méprendre à la tête ou au corps d’un personnage, en général une femme ou un Amérindien. « L’imagination se débride, soutient-il, et imagine le personnage en chair et en os que le rocher a dû être un jour. »
Au Québec, le Bon Dieu, le Diable, le Grand Manitou et les Géants sont des agents créateurs de légendes. « Le Diable plus souvent que le Bon Dieu, affirme Henri Dorion. Au Québec, la religion a longtemps dominé le monde spirituel et mythique. Elle a constitué un contexte favorable au développement de légendes, celles-ci faisant référence à des mondes parallèles, en dehors du concret. »
La légende de la Roche pleureuse
Ce dernier rappelle que l’on trouvait bien mystérieux dans le passé que l’eau puisse surgir de la pierre sans jamais se tarir, avant qu’on ne découvre les processus particuliers de l’érosion karstique dans la roche calcaire.
Le phénomène a d’ailleurs donné naissance à la légende de la Roche pleureuse – voir aussi l’Inventaire des ressources ethnologiques du patrimoine immatériel de l’Université Laval, Légende de la « Roche pleureuse ». Une femme, après avoir attendu en vain le retour de son mari pêcheur, se laissa mourir de désespoir et fut transformée, par les dieux, en rocher. Ce rocher laisse couler des gouttes, les larmes de la femme pétrifiée, dans un bassin. Pour les scientifiques, il s’agit d’eau qui s’est infiltrée dans le sol sur les plus hautes terres et qui, après un parcours souterrain entre les couches de roches sédimentaires, a trouvé une sortie.