Une « authentique mémoire » des lieux :
l’archéologie au Québec
par Louise Pothier
Directrice, Expositions-Technologies
Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal
Fouilles fort
|
Depuis quarante ans, les archéologues québécois sillonnent les quatre coins de la province pour découvrir, documenter et protéger un patrimoine culturel d’une richesse souvent insoupçonnée. Ils s’activent aussi à tisser des liens essentiels avec leurs collègues canadiens et américains pour reconstituer les réseaux d’occupation du territoire à des époques qui ne connaissaient pas les frontières politiques actuelles, comme à la préhistoire et au temps de la Nouvelle-France.
Malgré la non monumentalité de ses vestiges, l’archéologie québécoise se positionne favorablement sur la scène internationale. Parmi les grandes réalisations, citons Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, dont l’importance du site mis en valeur – le lieu de fondation de Montréal – et l’audacieuse intégration des vestiges de plusieurs époques dans un bâtiment moderne en font l’un des musées les plus visités au Québec. Nous y reviendrons. Dans ce très bref tour d’horizon que nous proposons ici, nous évoquerons quelques sites emblématiques ainsi que d’autres, moins connus, qui soulignent tous la contribution de l’archéologie à la connaissance des lieux de mémoire.
De la préhistoire à Jacques Cartier
Maison longue Saint-AnicetCrédit :Site Droulers-Tsiionhiakwatha |
En comparaison avec la période historique (1535 à nos jours), la préhistoire au Québec constitue la plus longue période d’occupation humaine, soit environ 11 500 ans; mais elle s’avère aussi celle qui a laissé les traces les plus éphémères et les plus difficiles à percevoir dans le paysage actuel. De tous les groupes qui se sont succédés sur le territoire, ce sont les Iroquoiens du Saint-Laurent qui sont les mieux connus des chercheurs. Plusieurs sites villageois ont été retrouvés dans la vallée du Saint-Laurent : à Deschambault, à Lanoraie, à Tracy près de la rivière Richelieu, à la Pointe-du-Buisson et plus récemment au site Droulers-Tsiionhiakwatha. Ces deux derniers sites ont fait l’objet d’une mise en valeur in situ.
À Droulers près de Saint-Anicet, on a reconstitué une palissade, des maisons-longues, un jardin de plantes autochtones (maïs, tabac, courge et haricot) et on y offre des activités qui permettent aux visiteurs de tous âges de renouer avec les traditions de ces premiers horticulteurs du Québec. Les fouilles s’y poursuivront au cours des prochaines années, permettant de documenter davantage ce groupe qui occupait la région peu de temps avant l’arrivée de Jacques Cartier au Canada.
Pointe-à-Callière et les Éditions de l’Homme ont publié en 2006, sous la plume de l’archéologue Roland Tremblay, un ouvrage synthèse qui retrace l’épopée des Iroquoiens du Saint-Laurent et présente une carte localisant plus de 200 sites retrouvés sur un immense territoire, de l’embouchure du lac Ontario jusqu’à Mingan sur la Côte-Nord. Malgré la fragilité des vestiges et la vulnérabilité des sites, les analyses conjuguées de plusieurs chercheurs du Québec, de l’Ontario et des États-Unis conduisent aujourd’hui à des hypothèses de plus en plus cohérentes concernant la dispersion de ces groupes iroquoiens dans la seconde moitié du 16e siècle.
Un autre site important de la période du contact (16e siècle) est celui du fort de Cartier et Roberval à Cap-Rouge près de Québec, découvert en 2005. L’étude des vestiges de cette première tentative de colonisation européenne en pays iroquoien (1541-1542) permettra de mieux comprendre le contexte d’établissement des Français et leurs relations avec les autochtones. Cartier visita, au cours de ses explorations, les deux plus grandes agglomérations iroquoiennes de la vallée du Saint-Laurent en aval de Montréal, Stadaconé et Hochelaga. Aucun de ces deux sites n’a encore été retrouvé.
De la capitale coloniale à la métropole canadienne
Parmi les incontournables références aux sites du Régime français au Québec, citons la Place Royale à Québec, où se trouve l’un des plus riches ensembles architecturaux de cette période en Amérique du Nord. Les collections archéologiques qui en proviennent sont également uniques et même spectaculaires en regard de leur intégrité souvent stupéfiante pour des objets qui proviennent de sites archéologiques.
Non loin de la Place Royale, le site de l’îlot des Palais constitue également un lieu de mémoire dont la portée symbolique est grande – le Palais de l’intendant constituait en effet le site du pouvoir administratif de la colonie. Ce site a servi d’École de fouilles de l’Université Laval pendant plus de vingt ans. L’une des caractéristiques de ce lieu est la réutilisation de l’espace urbain pendant trois siècles et la conservation remarquable des strates les plus anciennes, notamment les magasins du roi dont le contenu nous offre aujourd’hui un instantané saisissant du rôle d’approvisionnement commercial de la capitale à l’égard des postes de traite. Le premier palais fut mis en valeur pendant une décennie et faillit devenir un musée de site en 2008 à l’occasion du 400e anniversaire de Québec, projet toutefois laissé en plan.
Ces dernières années, Parcs Canada a entrepris la fouille des forts et châteaux Saint-Louis érigés sur les hauteurs de la falaise qui domine le fleuve à Québec, sous l’actuelle terrasse Dufferin, en plein cœur de l’arrondissement historique. Les recherches ont permis de mettre au jour quatre générations de forts et deux générations de châteaux construits sur le même site, depuis l’occupation des lieux par Samuel de Champlain et ses hommes en 1620, jusqu’à l’incendie du château en 1834. Pendant les fouilles, des dizaines de milliers de visiteurs ont eu accès au chantier. Les recherches à venir permettront de mettre en valeur les résultats de ces découvertes et de quantité d’objets qui témoignent de la vie quotidienne des gouverneurs et de leur entourage.
Dans la région montréalaise, le lieu de fondation de Montréal, dans l’arrondissement historique, s’avère le site le plus important par sa richesse matérielle, la diversité de ses occupations et son importance symbolique. Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, préserve et met en valeur ce lieu où se trouvent non seulement les sites archéologiques mais aussi deux bâtiments patrimoniaux et un bâtiment contemporain, l’édifice de l’Éperon, érigé en surplomb des vestiges archéologiques. Ce complexe muséal comprend les sites archéologiques – le premier cimetière catholique de Montréal, les vestiges de l’édifice Royal Insurance, le premier égout collecteur de Montréal construit en pierre en 1832-1838, ainsi que les vestiges sous la crypte de la place Royale, notamment les fortifications de Montréal et la place du marché. Le Musée poursuit sa mission de recherche et s’est associé depuis 2002 à l’Université de Montréal pour établir une école de fouilles en archéologie urbaine, sur le site du fort de Ville-Marie et château de Callière, dans un entrepôt désaffecté. Publications, expositions et activités culturelles et éducatives enrichissent également sa programmation annuelle. Soulignons qu’en 2009 plus de 90 000 jeunes ont fréquenté le Musée, pour un total de 400 000 visiteurs. Afin de soutenir cette popularité croissante et d’élargir son rayonnement national et international, le Musée a entrepris un projet d’expansion destiné à doter la population montréalaise, québécoise et canadienne d’un lieu de culture, de commémoration et d’histoire marqué par l’authenticité. C’est une histoire à suivre…
L’archéologie, une valeur ajoutée pour les régions
En définitive, la présence de l’archéologie sur la place publique québécoise se fait de plus en plus visible depuis les vingt dernières années. S’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, il est maintenant acquis auprès d’une grande partie de la population que cette discipline constitue une nouvelle façon de connaître le passé et de développer un attachement particulier à des sites et à des régions. Outre le rôle positif des musées et des sites eux-mêmes, la création récente (1999) du Réseau Archéo-Québec a fait pour beaucoup dans cette redécouverte du patrimoine archéologique. Cette association d’une centaine de lieux de recherche et de diffusion de l’archéologie a donné naissance à des activités désormais courues par le public, regroupées pendant le Mois de l’archéologie, en août de chaque année. Des municipalités, des MRC, des institutions d’enseignement, des centres d’interprétation et des musées unissent leurs efforts pour présenter une programmation diversifiée.
Les défis de la prochaine décennie seront sans doute liés à la gestion concertée et ouverte des ressources archéologiques et à favoriser une plus grande accessibilité aux travaux des chercheurs à travers, par exemple, des partenariats constructifs entre universités, firmes privées et lieux de diffusion. Nous faisons le pari que des solutions innovantes seront mises de l’avant pour développer des façons de faire qui sont à l’avant-garde de la conservation et de la mise en valeur de l’archéologie, toutes ressources confondues.
Voir aussi :